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Structure, relations sémiotiques et homologation1

Par Louis Hébert
Université du Québec à Rimouski
louis_hebert@uqar.ca

1. Résumé

Une structure est constituée d’au moins deux éléments, appelés termes, dont on fait état d’au moins une relation qui les unit. Dresser une typologie des relations permet de prévoir différents types de structures. Il est possible de distinguer entre les relations comparatives (identité, similarité, altérité, opposition, homologation, etc.), présencielles (présupposition, exclusion mutuelle, etc.), etc. Parmi les structures simples qui permettent de rendre compte du signifiant (les éléments de l’expression) et/ou du signifié (le contenu) d’une production sémiotique, nous retiendrons l’homologation. L’homologation est la relation entre (au moins) deux paires d’éléments opposés en vertu de laquelle qu’on peut dire que dans l’opposition A/B, A est à B ce que, dans l’opposition C/D, C est à D. Par exemple, dans un texte donné, la vie (A) sera à la mort (B) ce que le positif (C) sera au négatif (D).

Ce texte est une version revue et augmentée du texte qui se trouve dans le livre suivant :
Louis Hébert, Dispositifs pour l'analyse des textes et des images, Limoges, Presses de l'Université de Limoges, 2007.

Ce texte peut être reproduit à des fins non commerciales, en autant que la référence complète est donnée :
Louis Hébert (2011), « Structure, relations sémiotiques et homologation », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/structure-relations-semiotiques-homologation.asp.

2. Théorie

2.1 DÉFINITION DE LA STRUCTURE

Posons que toute unité signifiante – à l’exception des unités signifiantes considérées, de facto et non pas seulement par une réduction méthodologique, comme indécomposables – peut être analysée en tant que structure, et que toute structure est une entité décomposable en au moins deux termes (ou relata, relatum au singulier) unis par au moins une relation (ou fonction). En général, l’inventaire des termes et celui des relations s’opposent en ce que les termes sont en nombre a priori indéfini et les relations, en nombre a priori restreint (même si l’inventaire des relations peut être partiellement ouvert et varier en fonction des objectifs analytiques et des types d’objets analysés).

Nous dirons que la structure minimale est faite de deux termes unis par une seule relation (du moins une seule dont on fait état). Ainsi dans « eau de feu », eau/feu est une structure (du signifié) minimale, dont la relation est l’opposition. Dans « le feu est une eau lumineuse », à la relation d’opposition s’ajoute une relation de comparaison (métaphore).

REMARQUE : AUTRES DÉFINITIONS POSSIBLES DE LA STRUCTURE MINIMALE

Il est également possible d’élargir notre définition de la structure minimale pour inclure les cas où la relation est établie entre un terme et lui-même (relation réflexive). Hjelmslev donne une définition de la structure minimale plus restrictive que la nôtre, puisqu’il considère la structure comme une « entité autonome de dépendances internes », c’est-à-dire une relation de relations. À cet égard la structure minimale supposerait deux relations reliées par une troisième relation et impliquerait, classiquement, quatre éléments. Ainsi, une homologation entre deux oppositions est bien une telle structure minimale. Cependant, d’autres types de structures minimales seraient possibles. Soit r : relation et R : relation de relations. Une structure minimale pourrait comporter seulement deux éléments. Ceux-ci seront soit unis par deux relations différentes : (A r1 B) R (A r2 B) ou (A r1 A) R (A r2 B); soit par une même relation : (A r1 B) R (A r1 B) ou (A r1 A) R (A r1 B). Enfin, une structure pourrait même, en théorie, ne compter qu’un seul terme, unit à lui-même, mais probablement seulement si les deux relations sont différentes : (A r1 A) R (A r2 A).

2.2 STRUCTURES DE SIGNIFIANTS, DE SIGNIFIÉS ET DE SIGNES

Eu égard à l’opposition signifiant/signifié (ou expression/contenu), constitutive de tout signe, trois grands types d’analyses structurales sont possibles, selon que la structure implique (1) uniquement le signifiant (par exemple, une analyse limitée à la versification d’un poème), (2) uniquement le signifié (par exemple, une analyse thématique traditionnelle), (3) ou le signifiant et le signifié (par exemple, une étude des rapports entre la sonorité et le sens des mots placés à la rime dans un poème).

2.3 TYPOLOGIE DES RELATIONS

Dresser une typologie des relations permet de prévoir différents types de structures. Une relation est susceptible d’être caractérisée en fonction de nombreux critères. Distinguons, plus ou moins arbitrairement, entre les critères que nous appellerons formels (relations réflexive/transitive, non orientée/orientée, monadique/polyadique, etc.) et ceux que nous appellerons sémantiques (relations comparatives : identité, similarité, altérité, opposition, homologation, etc.; relations présencielles : présupposition, exclusion mutuelle; etc.).

Le schéma qui suit présente quelques structures possibles. Nous les avons produites en combinant quelques critères formels (orientation, nombre d’éléments reliés, etc.) et quelques critères sémantiques (opposition, présupposition, etc.) permettant de caractériser les relations.

Pour augmenter les capacités représentatives de notre schéma, nous avons choisi, pour ce qui est des structures comportant trois termes et plus (de S6 à S11), de laisser indéterminé le caractère non orienté/orienté des relations (c’est ce qu’indiquent les pointillés). On pourra à l’envi préciser ces relations laissées indéterminées en stipulant si elles sont non orientées, uniorientées, etc. Par exemple, dans une structure S6a, B et C seront reliés à A par une relation de présupposition simple (uniorientée donc). De même, on pourra, en ajoutant des termes ou en ajoutant des relations sémantiques, dériver de nombreuses autres structures à partir de celles retenues ici. Par exemple, si on ajoute une relation d’opposition entre D et E à la structure 10, on obtient une nouvelle structure, où une opposition entre deux termes est reliée à une opposition entre trois termes2

.
Représentation de quelques structures possibles
Représentation de quelques structures possibles

2.3.1 TYPOLOGIES FORMELLES

2.3.1.1 RELATIONS MONADIQUE/POLYADIQUE

Selon le nombre de termes reliés, une relation sera dite monadique (S1) ou polyadique (dyadique : S2, S3, S4, S5; triadique : S6, S7; tétradique : S8, S9; pentadique : S10; etc.).

2.3.1.2 RELATIONS RÉFLEXIVE/TRANSITIVE

Une relation est dite réflexive si elle unit un terme à lui-même (S1). Elle est dite transitive si elle unit un terme à un  (par exemple, S2) ou plusieurs autres termes.

Prenons un exemple grammatical. Dans « Je me lave », « laver » est un verbe pronominal réflexif en ce que l’action de laver part de « je » pour y revenir, pour ainsi dire; à l’opposé, dans « Je te lave », « laver » est un verbe transitif direct puisque l’action part de « je » puis transite et abouti sur un « tu ». Autre exemple, la fonction poétique, l’une des fonctions du langage selon Jakobson, consiste en une relation réflexive où le message renvoie à lui-même. Toutes les relations dont la dénomination utilise le préfixe « auto- » sont réflexives (autodéfinition, autoreprésentation, autoréférence, etc.). Nous y reviendrons plus loin.

REMARQUE : RELATIONS RÉFLEXIVE/TRANSITIVE ET RELATIONS MONADIQUE/POLYADIQUE

Une relation monadique est forcément réflexive (un seul élément est relié à lui-même); une relation polyadique, forcément transitive (elle peut être en même temps en partie réflexive).

2.3.1.3 RELATIONS NON ORIENTÉE/ORIENTÉE

Une relation est dite non orientée si on considère que, dans les faits ou par réduction méthodologique (par simplification consciente, explicitée et justifiée), elle ne tend pas vers l’un des termes reliés (par exemple, S2)3. Une relation est dite orientée si on considère qu’elle va d’un ou plusieurs termes-sources vers un ou plusieurs termes-cibles. Elle est dite uniorientée ou unidirectionnelle ou asymétrique ou non réciproque si elle va d’un ou plusieurs termes-sources à un ou plusieurs termes-cibles sans que la réciproque soit vraie (par exemple, S3); si la réciproque est vraie, il s’agit d’une relation biorientée ou bidirectionnelle ou symétrique ou réciproque (par exemple, S4 et S5).

2.3.2 TYPOLOGIES SÉMANTIQUES

Proposons de distinguer méthodologiquement entre quatre grandes sortes de relations sémantiques : (1) les relations comparatives : identité, similarité, altérité, opposition, homologation, etc.; (2) les relations temporelles : simultanéité et succession, etc.; (3) les relations présencielles : présupposition simple, présupposition réciproque, exclusion mutuelle; (4) les relations de globalité : relations ensemblistes (impliquant des classes et/ou des éléments classés), méréologiques (impliquant des touts et/ou des parties), typicistes (impliquant des types et/ou des occurrences); et (5) les autres relations sémantiques.

2.3.2.1 RELATIONS TEMPORELLES ET SPATIALES

La simultanéité (ou concomitance) est la relation entre termes associés à la même position temporelle initiale et finale et donc à une même étendue temporelle (durée). Il est possible de distinguer entre (1) la simultanéité stricte (visée dans notre définition) et les types de (2) simultanéité partielle suivants : (2.1) simultanéité inclusive (la durée du premier terme est entièrement englobée dans celle du second mais dépassée par elle); (2.1.1) simultanéité inclusive avec coïncidence des positions initiales; (2.1.2) simultanéité inclusive avec coïncidence des positions finales; (2.1.3) simultanéité inclusive sans coïncidence des positions initiales et finales; (2.2) simultanéité-succession (simultanéité et succession partielles).

La (3) succession, quant à elle, est la relation entre termes dont la position temporelle finale de l’un est antérieure à la position initiale de l’autre. La (3.1) succession immédiate suppose que la position initiale du second terme est située immédiatement après la position finale du premier terme; dans le cas contraire, on aura une (3.2) succession médiate ou décalée. Il est possible de distinguer entre la (3) succession stricte (visée dans les définitions qui précèdent) et la (2.2) simultanéité-succession, forme de simultanéité et de succession partielles.

Le schéma qui suit illustre les principales relations temporelles dyadiques.

Relations temporelles dyadiques

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Relations temporelles dyadiques

Ces relations temporelles ont leurs correspondants spatiaux et constituent donc, par généralisation, des relations d’étendue, que cette étendue soit spatiale ou temporelle; mais d’autres relations spatiales existent également. Nous avons illustré les relations spatiales coïncidant avec les relations temporelles dans le schéma suivant, en combinant de différentes manières un quadrilatère rayé horizontalement et un autre rayé verticalement. Pour simplifier, nous avons exploité des formes « transparentes », qui laissent voir ce qu’elles recouvrent; les mêmes relations peuvent exploiter des formes opaques. Pour simplifier encore, nous n’avons fait jouer que la largeur des quadrilatères. Par exemple, la superposition médiale horizontale et verticale suppose un englobement et en largeur et en hauteur et pas seulement, comme ici, en largeur. Dans le cas des formes tridimensionnelles, il faut tenir compte également de la profondeur. Évidemment les relations spatiales ne se limitent pas à celles représentées dans le schéma ou celles que nous venons de proposer pour enrichir le schéma et la typologie.

Relations spatiales dyadiques
Relations spatiales dyadiques
2.3.2.2 RELATIONS PRÉSENCIELLES

Une relation présencielle est une relation où la présence ou l’absence d’un terme permet de conclure à la présence ou l’absence d’un autre terme.

La présupposition est une relation où la présence d’un terme (dit présupposant) permet de conclure à la présence d’un autre terme (dit présupposé). Cette relation est de type et… et… (et tel terme et tel autre terme). La présupposition simple (ou dépendance unilatérale) est une relation uniorientée (A présuppose B, mais pas l’inverse), par exemple la présence d’un loup présuppose celle d’un mammifère (le loup étant un mammifère), mais la présence d’un mammifère ne présuppose pas celle d’un loup (ce mammifère pouvant être, par exemple, un chien). La présupposition réciproque (ou interdépendance) est une relation biorientée (A présuppose B et B présuppose A), par exemple le verso d’une feuille présuppose son recto et réciproquement; en effet, il n’y pas de recto sans verso et vice-versa. On peut symboliser la présupposition simple par une flèche (A présuppose B se notant : A → B, ou B ← A) et la présupposition réciproque par une flèche à deux têtes (A ↔ B).

L’exclusion mutuelle est la relation entre deux éléments qui ne peuvent être présents ensemble. Cette relation est de type ou … ou … (ou tel terme ou tel autre terme). Par exemple, dans le réel (mais pas nécessairement dans une production sémiotique, un conte fantastique, par exemple), un même élément ne peut être à la fois vivant et mort4. On peut symboliser l’exclusion mutuelle par l’emploi de deux flèches se faisant face (A →← B) ou d’un trait vertical (A | B).

Pour peu que l’on considère la présence des termes non plus dans une perspective catégorielle (du tout au rien) mais dans une perspective graduelle (et donc quantitative), il devient possible d’éventuellement trouver entre deux termes deux types de corrélation. La corrélation est dite converse ou directe si, d’une part, l’augmentation de A entraîne l’augmentation de B et celle de B entraîne celle de A et, d’autre part, la diminution de A entraîne celle de B et celle de B entraîne celle de A. La corrélation converse est donc de type « plus… plus… » ou « moins… moins… » Par exemple, lorsque l’énergie cinétique d’une voiture augmente, sa vitesse augmente également et si sa vitesse augmente, son énergie cinétique également.

La corrélation est dite inverse si, d’une part, l’augmentation de A entraîne la diminution de B et l’augmentation de B entraîne la diminution de A et, d’autre part, la diminution de A entraîne l’augmentation de B et la diminution de B entraîne l’augmentation de A. La corrélation inverse est donc de type « plus… moins… » ou « moins… plus… ». À température et à quantité de gaz constantes, la pression et le volume d’un gaz sont en corrélation inverse ; par exemple, si le volume est augmenté, la pression est diminuée et si la pression est augmentée, c’est que le volume est réduit.

Les corrélations converse et inverse sont à rapprocher, respectivement, de la présupposition réciproque et de l’exclusion mutuelle. En effet, dans une corrélation converse, en élevant le degré de présence d’un terme, j’augmente celui d’un autre5 ; dans une corrélation inverse, en élevant le degré de présence d’un terme, je diminue celui d’un autre (ou, dit autrement, j’augmente son degré d’absence). Pour des précisions, voir le chapitre sur le schéma tensif.

Une relation présencielle ne se double pas nécessairement d’une relation, c’est-à-dire unissant une cause à un effet, ou un non-effet à une cause ou à l’absence d’une cause. Voici une relation présencielle non doublée d’une relation causale : il y a quelques décennies (la chose est peut-être encore vraie), si l’on faisait varier l’altitude, on faisait également varier les chances de mourir d’une maladie pulmonaire ; plus précisément, les deux variables étaient en relation converse. On aurait tort de croire que l’altitude était néfaste aux poumons, simplement les personnes gravement atteintes se faisaient recommander la montagne. Voici une relation présencielle doublée d’une relation causale : une explosion est nécessairement causée par une substance explosive et elle présuppose une substance explosive (mais la substance explosive n’implique pas nécessairement une explosion).

Une relation présencielle ne se double pas nécessairement d’une relation temporelle particulière : toutes les relations présencielles peuvent se combiner avec la succession ou la simultanéité. Par exemple, loup présuppose mammifère, puisqu’un loup est nécessairement un mammifère (mais pas l’inverse : un mammifère n’est pas nécessairement un loup); on peut donc dire que loup et mammifère sont présents simultanément (on peut aussi considérer qu’il y a absence de relation temporelle, une sorte de présent logique atemporel). Par contre, le vol d’une banque présuppose nécessairement une étape antérieure, fût-elle réduite à sa plus simple expression : l’élaboration d’un plan (mais pas l’inverse : élaborer un plan n’implique pas nécessairement sa mise à exécution). Comme on a pu le voir, nous considérons que la présupposition n’est pas a priori corrélée à une relation temporelle, malgré la présence du préfixe « pré- »; cependant pour éviter des chocs sémantiques trop brutaux, on peut utiliser au besoin « implication » lorsque l’élément présupposé est temporellement postérieur (c’est pourquoi nous avons écrit qu’élaborer un plan n’implique pas nécessairement sa mise à exécution). Pour des exemples de combinaisons entres les relations présencielles et temporelles, voir le chapitre sur le programme narratif.

2.3.2.3 RELATIONS COMPARATIVES

L’identité au sens strict est la relation entre termes dotés de caractéristiques toutes identiques. L’altérité est la relation entre termes ne possédant aucune caractéristique identique. Comme on le voit, nous faisons intervenir ici la distinction entre tout (ce qui possède des caractéristiques) et parties (les caractéristiques). L’identité absolue n’existe pas pour les objets matériels : deux feuilles de papier « identiques » se révéleront non identiques au microscope ; il n’est pas sûr qu’elle existe même pour les objets mentaux : deux triangles « identiques » dotés exactement des mêmes coordonnées spatiales doivent pouvoir être distingués (fût-ce par une « étiquette » comme « triangle A », « triangle B »), ce qui suppose une forme de non-identité. En fait, l’identité au sens strict n’est certaine que pour l’ipséité, l’identité d’un élément à lui-même (pour peu qu’on souscrive à la thèse de l’existence d’une identité à soi).

REMARQUE : COMPARABILITÉ

Dans la perspective d’une identité et d’une altérité strictes, donnons le nom de comparabilité à la relation d’identité/altérité partielle. Appelons similarité la sous-espèce de comparabilité où l’identité prédomine sur l’altérité (mais où il subsiste au moins une caractéristique qui n’est pas partagée) ; elle peut être représentée par le symbole d’égalité approximative (@). Mathématiquement parlant, dans la similarité minimale, on trouve 50 % + 1 d’identités; dans la similarité maximale, on trouve 100 % - 1 d’identités. Appelons dissimilarité l’autre sous-espèce de comparabilité où l’altérité prédomine sur l’identi

Évidemment, par réduction méthodologique (c’est-à-dire consciente, explicitée et pertinente), on peut parler d’identité au sens large et d’altérité au sens large. Cette réduction peut-être notamment fonctionnelle : telle ou telle feuille blanche pour écrire n’importe guère : elles sont « identiques ». Au sens large, l’identité est alors la relation entre termes dont la force et/ou le nombre de caractéristiques identiques l’emportent sur la force et/ou le nombre de caractéristiques non identiques. Au sens large, l’altérité est la relation entre termes dont la force et/ou le nombre de caractéristiques non identiques l’emportent sur la force et/ou le nombre de caractéristiques identiques. On peut considérer que les relations comparatives autres que l’identité sont des formes de non-identité, de différence.

La similarité est une forme atténuée d’identité. Distinguons entre la similarité ordinaire et la similarité analogique. Celle-ci connaît deux formes : la similarité analogique quantitative (comme dans les proportions mathématiques : 1 est 4 ce que 10 est à 40) et la similarité analogique qualitative (comme dans les métaphores et les homologations, métaphoriques ou non : une femme est à la rose ce que l’ordre humain est à l’ordre végétal). Nous considérerons que l’homologation est une forme complexe de relation comparative. Comme nous le verrons plus loin, elle met en cause des relations d’opposition, de similarité, de présupposition et d’exclusion mutuelle; cependant, globalement, on peut la considérer comme une relation de similarité, plus exactement de similarité analogique qualitative.

En principe, sur l’échelle de l’altérité/identité, se trouve une zone où les altérités et les identités entre caractéristiques sont de force et/ou de nombre égaux. Dans les faits sans doute, cette zone neutre, définie par une relation que l’on peut appeler l’identité-altérité, ne s’impose que rarement, les zones adjacentes, celles de l’identité et de l’altérité, attirant, en les « arrondissant », les valeurs susceptibles de s’y loger.

Distinguons entre l’identité ordinaire, ou identité tout court, et l’identité d’ipséité, l’identité à soi d’un élément : un élément est identique à lui-même. La transformation est le processus, l’opération à la fin de laquelle une relation comparative autre que l’identité s’établit entre ce qu’était un terme et ce qu’il est devenu. Le mot désigne également le résultat de cette opération. La transformation peut être symbolisée par une apostrophe, par exemple O’ indique la transformation d’un objet O.

L’opposition est une relation entre termes plus ou moins incompatibles. Il est possible de distinguer deux types d’opposition : la contrariété (par exemple, vrai / faux, vie / mort, riche / pauvre) et la contradiction (par exemple, vrai / non-vrai, vie / non-vie, riche / non-riche). Une contradiction se produit, par exemple, dans La trahison des images de Magritte, tableau qui représente une pipe (terme pipe) avec pour légende : « Ceci n’est pas une pipe. » (terme non-pipe). Comme on le voit, la contradiction peut se faire d’une sémiotique à une autre. Elle peut même se produire au sein d’une sémiotique non linguistique : par exemple, si une toile représente le même individu vivant et mort. La contradiction aristotélicienne suppose (1) la présence d’une relation de contradiction (2) au sein d’un même objet (3) envisagé sous un même rapport. Ainsi, à supposer que vide et plein forment une contradiction, un gruyère (ou un beignet) est le lieu d’une relation de contradiction, mais pas d’une contradiction aristotélicienne puisque le vide et le plein ne se rapportent pas aux mêmes parties du fromage. Souvent, les contradictions aristotéliciennes se dissolvent en totalité ou en partie par une dissimilation, une différenciation des rapports; par exemple « Ton fils (paternité) n’est pas ton fils (propriété) » (Confucius), « Soleil (luminosité physique) noir (obscurité émotionnelle) de la mélancolie » (Nerval). La contrariété est une relation d’opposition où l’incompatibilité est minimale et la contradiction, une relation d’opposition où l’incompatibilité est maximale. L’exclusion mutuelle peut être envisagée comme le résultat le plus radical d’une relation d’incompatibilité, mais il semble que toute exclusion mutuelle ne prend pas pour base une opposition (par exemple, chaque fois qu’un personnage mâche une carotte, il ne mâche pas une pomme de terre et réciproquement). La compatibilité peut prendre la forme de la complémentarité; mais toute compatibilité n’est pas complémentarité : par exemple deux propositions identiques (comme « La terre est ronde ») sont compatibles sans pour autant être complémentaires. La présupposition peut être envisagée comme le résultat le plus radical d’une relation de complémentarité (notamment en tant que relation qui, dans un carré sémiotique, s’établit par exemple entre non-vrai et faux).

Comment dans la pratique distinguer la contrariété de la contradiction, puisque toute contradiction ne s’exprime pas nécessairement par le privatif « non- »? Nous dirons que la contradiction est catégorielle et que la contrariété est graduelle. Par exemple, en logique classique, vrai et faux sont des contradictoires, puisque non-vrai égale faux et non-faux égale vrai; à l’opposé, riche et pauvre sont des contraires puisque non-riche n’égale pas nécessairement pauvre et que non-pauvre n’égale pas nécessairement riche.

L’opposition peut être considérée de plusieurs façons différentes, notamment soit comme une relation comparative au même niveau que l’altérité et l’identité, soit comme une sous-espèce d’altérité, soit comme une sous-espèce de similarité : en effet sont opposés des éléments comparables et donc similaires; par exemple, si jour et nuit s’opposent c’est bien en tant que périodes de la journée (propriété commune). Une barre oblique symbolise la relation d’opposition entre termes, par exemple vie / mort. La production d’un terme contradictoire peut être indiquée par le symbole de négation logique (par exemple ¬vie veut dire non-vie).

En sémiotique, on appelle contraste la coprésence des deux termes d’une opposition dans une même production sémiotique. Par exemple, eu égard à l’opposition eau/feu, dans « Ils s’entendent comme l’eau et le feu », il y a contraste. Il y a non-contraste lorsqu’un des termes de l’opposition demeure virtuel en ne se manifestant pas dans la production sémiotique, par exemple « feu » dans « Je bois de l’eau ». Évidemment, il peut arriver qu’aucun des deux termes de l’opposition de ne se manifeste dans la production sémiotique, par exemple dans « Je mange une pomme ». Le contraste sera plus ou moins puissant selon, par exemple, que les deux termes sont plus ou moins rapprochés dans la distribution des signes (si « vie » est le premier mot d’une suite linguistique et « mort », le second, le contraste sera puissant) et/ou se rapportent (« cette mort-vie ») ou ne se rapportent pas au même objet (« cette personne vivante et cette autre morte »). Pour un approfondissement de la notion d’opposition, on se reportera au chapitre sur le carré sémiotique.

REMARQUE : RELATION COMPARATIVE ET RELATION DE COMPARAISON

Il faut distinguer relation comparative et relation de comparaison (métaphorique), laquelle relation peut s’instaurer au sein d’une production sémiotique entre un terme comparant et un terme comparé. Par exemple, dans « L’albatros » de Baudelaire, une comparaison métaphorique est établie entre le poète (comparé) et un albatros (comparant).

Le tableau ci-dessous présente les principales relations comparatives.

Typologie des relations comparatives

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Typologie des relations comparatives
2.3.2.4 RELATIONS DE GLOBALITÉ

Distinguons trois sortes de globalités/localités ainsi que les trois familles de relations et les trois familles d’opérations qu’elles définissent. La globalité méréologique ou holiste implique des touts (par exemple, un mot) et des parties (par exemple, les lettres du mot). La globalité ensembliste implique des classes (par exemple, la classe des mots) et des éléments (par exemple, tel mot). La globalité typiciste implique des types (des modèles, par exemple le genre sonnet) et des occurrences (des manifestations plus ou moins intégrale d’un modèle, d’un type, par exemple tel sonnet plus ou moins régulier).

REMARQUE : DIFFÉRENCE ENTRE CLASSE ET TYPE

Quelle est exactement la différence entre un type (par exemple, le genre poème) et une classe (par exemple, celle des poèmes)? À proprement parler, un type n’est pas une classe, parce qu’il ne contient, ne regroupe pas les unités-occurrences (les poèmes) qui en dépendent, mais les génère. Distinguons entre l’extension (ou énumération) d’une classe et son intension (ou compréhension). Par exemple, l’extension de la classe des nombres entiers positifs est : 1, 2, 3, 4, etc. L’intension, la définition de cette classe, est le principe que doivent respecter les éléments de cette classe, à savoir ici être un nombre entier positif. La distinction entre un type et la définition, l’intension d’une classe peut sembler vague, mais il s’agit bel et bien de deux choses distinctes. Type et définition sont nécessairement des entités abstraites ; occurrence et élément peuvent être aussi bien concrets (ce poème, représentant du genre poème; cette bille, membre de la classe des billes dans ce sac) qu’abstraits (cet amour, qui est une manifestation de l’amour; l’humiliation, membre de la classe des émotions négatives). La différence est donc ailleurs. Le type est un « individu » abstrait résultat d’une induction produite à partir de ce qui deviendra ses occurrences et par rapport auxquelles il prend par la suite une valeur d’entité générative (par opposition à génétique)6. La définition d’une classe n’est pas une entité individu mais un inventaire d’une ou de plusieurs propriétés, inventaire éventuellement assorti de règles d’évaluation de l’appartenance de l’élément. Ce qui n’empêche pas que l’on puisse éventuellement associer un type à une classe. Le prototype est l’occurrence considérée, par un sujet observateur donné, comme la meilleure et/ou la plus représentative du type (par exemple, la pomme ou l’orange pour les fruits) et dont les autres occurrences sont plus ou moins éloignées (par exemple, la carambole, le litchi).

Le statut global/local est relatif et des unités globales peuvent être par ailleurs des unités locales et vice-versa. Ainsi, une partie (par exemple, la syllabe comme partie d’un mot) pourra être reconnue comme un tout (la syllabe comme groupement de phonèmes); un élément (mammifère dans la classe des animaux) pourra être reconnu comme une classe (mammifère comme classe englobant les éléments-classes canidés, félidés, etc.); et une occurrence (par exemple, le genre drame comme occurrence du champ générique théâtre) pourra être reconnue comme type (le drame historique comme sous-genre occurrence du type générique drame).

Parmi les différentes opérations de globalité/localité, quelques-unes méritent qu’on s’y attarde. La partition ou décomposition est une opération (descendante) qui dégage les parties d’un tout jusque là inanalysé (par exemple, en stipulant les sèmes composant un signifié donné). Le classement est une opération (montante) par laquelle on indexe, on inclut un élément dans une classe. Le terme « classement » désigne également le résultat d’un classement en tant que structure faite de classes et d’éléments classés (par exemple, les taxonomies scientifiques : animaux vertébrés / invertébrés, etc.). La typicisation (ou catégorisation) est une opération (montante) par laquelle une occurrence est subsumée sous un type, rapportée à lui, reconnue comme étant son émanation, sa manifestation. Ces opérations fondent également des relations. Ainsi, il y a une relation de décomposition entre le tout et une de ses parties, une relation de classement entre l’élément et la classe, une relation de typicisation entre l’occurrence et son type.

Si l’on distingue, pour chaque globalité/localité, deux unités globales et pour chacune deux unités locales différentes, on obtient les relations suivantes : (1) entre les deux globalités; (2) entre une globalité et sa localité; (3) entre une globalité et une localité qui n’est pas la sienne; (4) entre deux localités relevant de la même globalité; (5) entre deux localités relevant chacune d’une globalité différente (cette relation induit une relation indirecte entre les deux globalités; tout comme la relation entre globalité induit une relation indirecte entre les localités). Chacune de ces relations peut être parcourue dans un sens et/ou dans l’autre. Par exemple, la relation entre une globalité et sa localité peut aller de la globalité vers sa localité (relation descendante) et/ou de la localité vers sa globalité (relation montante). On peut ajouter à ces cinq relations doubles, la relation réflexive (6) entre une globalité et elle-même et celle (7) entre une localité et elle-même.

Donnons un exemple en prenant les relations typicistes établies entre des genres et des textes susceptibles d’en relever. La typologie devient la suivante : (1) entre un type et un autre (par exemple, entre deux genres textuels opposés) ; (2) entre le type et son occurrence (par exemple, entre un genre et le texte qui en relève) ; (3) entre un type et une occurrence autre que la sienne (par exemple, entre un texte et le genre opposé à celui auquel il appartient) ; (4) entre une occurrence et une autre qui relève du même type ; (5) entre une occurrence et une autre qui relève d'un autre type (par exemple, l’intertextualité entre deux textes de genres différents) ; (6) entre un type et lui-même ; (7) entre une occurrence et elle-même.

REMARQUE : RELATIONS INTERNES (INTRA-)

Les relations au sein d’un tout peuvent être nommées à l’aide du préfixe « intra- » (comme pour l’intratextualité, relation entre deux parties d’un texte). Un type ou une classe peuvent être envisagés d’un point de vue méréologique. Dans le cas d’un type, les parties peuvent être les traits définitoires du type (mais il n’est pas sûr qu’un type équivaille dans tous les cas à un inventaire de traits, hiérarchisés ou non). Dans le cas de l’extension d’une classe, les parties sont évidemment les éléments ; dans le cas de l’intension d’une classe, de sa définition, les parties peuvent être des traits définitoires ou des parties des règles d’évaluation de la conformité des éléments à la définition. On peut caractériser d’intratypiques les relations internes à un type et d’intraclassiques, les relations internes à une classe. Évidemment, les occurrences et les éléments, pour peu qu’ils soient considérés comme décomposables, peuvent connaître des relations entre leurs parties ; on peut les nommer, respectivement, intra-occurrencielles et intra-élémentaires.

Distinguons, sur cette base, plusieurs sortes de relations impliquant texte (entendu au sens large de production sémiotique : texte, image, etc.) et type générique (« genre » est entendu au sens large : genre, discours, sous-genre, forme générique, etc.) : autotextualité (relation 7): un texte est uni à lui-même ; intertextualité (relation 4 ou 5) : un texte est uni à un autre ou à d’autres textes; architextualité (relations de type 2 ou 3): un texte-occurrence est uni à un type textuel ; autogénéricité (forme d’autotypicité) (relation 6, non représentée dans le schéma qui suit) : un type est uni à lui-même ; intergénéricité (forme d’intertypicité) (relation 1, non représentée dans le schéma qui suit) : un type textuel est uni à un autre ou à d’autres types textuels. Ces relations peuvent être vues comme uniorientées, dans un sens ou dans l’autre (par exemple, du texte vers son genre ou du genre vers le texte), ou comme biorientées (par exemple, du texte vers son genre et de celui-ci vers celui-là).

REMARQUE : L’INTERTEXTUALITÉ SELON GENETTE

Genette (1982 : 8) distingue cinq formes de transtextualité : (a) la paratextualité (relation d’un texte avec sa préface, etc.) ; (b) l'intertextualité (citation, plagiat, allusion) ; (c) la métatextualité (relation de commentaire d'un texte par un autre) ; (d) l'hypertextualité (lorsqu'un texte se greffe sur un texte antérieur qu'il ne commente pas mais transforme (parodie, travestissement, transposition) ou imite (pastiche, faux, etc.), celui-là est l'hypertexte et celui-ci l'hypotexte) et (e) l’architextualité (relation entre un texte et les classes auxquelles il appartient, par exemple son genre). Quant aux éléments dits paratextuels, ils participeront, selon le statut qu’on leur accorde, d’une relation intertextuelle (au sens élargi que nous donnons au terme) si on les considère comme externes au texte, d’une relation intratextuelle si on les considère comme internes au texte, ou d’une relation proprement paratextuelle. Le débat sur le caractère intra ou extratextuel du titre illustre bien les différentes possibilités typologiques. Quant à nous, nous avons défini l’intertextualité dans un sens plus large que ne le fait Genette et avons englobé ce qu’il appelle l’intertextualité, la métatextualité et l’hyper/hypotextualité; évidemment, les distinctions de Genette n’en demeurent pas moins pertinentes. Pour des détails sur l’intertextualité, voir Hébert et Guillemette, 2009.

REMARQUE : TEXTUALITÉ ET INTRATEXTUALITÉ

L’autotextualité est susceptible de prendre plusieurs formes : du texte comme tout à lui-même comme tout, du tout à une partie, d’une partie au tout et, enfin, d’une partie à cette même partie. Lorsque la relation s’établit entre une partie et une autre du même tout, il y a intratextualité. L’intertextualité et l’architextualité peuvent être envisagées soit comme des relations globales (établies entre touts), soit comme des relations locales (établies d’abord entre parties et, de manière indirecte, entre touts) ; dans ce dernier cas, le terme de départ est considéré comme une partie du texte et le terme d’arrivée, une partie d’un autre texte (intertextualité) ou une partie d’un type textuel (architextualité). De surcroît, il existe des relations locales-globales : par exemple, une partie d’un texte évoquera globalement un autre texte ou un genre (par exemple, la phrase (partie) d’un roman qui dirait : « J’ai lu Hamlet » (tout).

L’autotextualité entretient des relations étroites avec d’autres relations réflexives.

L’autoréférence, en tant qu’elle implique un référent – la troisième partie que l’on prête souvent au signe et que l’on définit généralement comme étant « ce dont on parle », les deux premières étant le signifiant et le signifié – est à la fois plus large que l’autotextualité (elle peut impliquer un signe de toute étendue et pas nécessairement un texte, une production sémiotique complète) et plus étroite (sans doute que toute autotextualité ne peut pas être assimilée à une autoréférence) ; si le mot « référence » est entendu au sens large de tout renvoi d’une unité à une autre (qui peut être elle-même), l’autotextualité est alors un cas particulier d’autoréférence7.

L’autoreprésentation (une production se représente en elle-même) et l’autoréflexivité (une production « réfléchit » sur elle-même en elle-même) présupposent une relation d’autotextualité : ce qui s’autoreprésente ou s’autoréfléchit renvoie nécessairement par là même à soi-même. Par ailleurs, l’autoréflexivité présuppose une relation d’autoreprésentation : pour « réfléchir sur soi », la production doit nécessairement se poser d’une manière ou d’une autre comme objet de son discours. Cependant, toute autoreprésentation n’est pas pour autant autoréflexive (par exemple, la vache qui rit – emblème d’un fromage bien connu – est autoreprésentée dans ses boucles d’oreilles, mais il est difficile de voir là une réflexion quelconque). Enfin, l’autotextualité, ou autoréférence, peut apparaître seule, sans autoreprésentation ni autoréflexivité (par exemple, dans le célèbre slogan politique I like Ike, dont la sonorité attire l’attention sur lui-même, sans qu’il y ait ni autoréflexivité ni véritable autoreprésentation).

En résumé : toute autoréflexivité présuppose une autoreprésentation et toute autoreprésentation présuppose une autotextualité, mais toute autotextualité n’est pas une autoreprésentation et toute autoreprésentation n’est pas une autoréflexivité. Le schéma ci-dessous illustre les principales grandes relations textuelles; pour simplifier nous avons uniorienté les relations, mais elles peuvent être également envisagées comme uniorientées dans la direction inverse ou encore biorientées.

Les principales relations textuelles
Les principales relations textuelles
2.3.2.5 AUTRES RELATIONS SÉMANTIQUES

Parmi les autres relations sémantiques possibles, mentionnons : les relations casuelles qu’on utilise dans les graphes sémantiques (cause, résultat, agent, patient, etc.; voir le chapitre correspondant); les relations que nous appellerons systémiques (relations symbolique, semi-symbolique et sémiotique; voir le chapitre sur l’analyse figurative, thématique et axiologique); les relations que nous appellerons signiques (symbole de, indice de, icône de quelque chose); etc.

2.4 RELATIONS CATÉGORIELLE/GRADUELLE

Certaines relations sont catégorielles : elles sont ou ne sont pas, sans position intermédiaire possible. Par exemple, en principe, deux termes sont opposés ou ne le sont pas, il n’y a pas de position intermédiaire possible. D’autres relations peuvent être considérées, au choix, dans une perspective catégorielle ou graduelle. Par exemple, dans une perspective catégorielle, il y a une relation d’exclusion mutuelle entre deux termes si et seulement si à chaque fois qu’un terme apparaît l’autre terme est absent et réciproquement; dans une perspective graduelle, il y a exclusion mutuelle si presque toujours, ou généralement, ou majoritairement (la limite mathématique étant la moitié des cas plus un) quand un terme apparaît l’autre est absent et réciproquement. Ainsi, dans une perspective graduelle, une homologation ne tombe pas parce que l’un des éléments d’une opposition apparaît quelques fois sans son pendant de l’autre opposition formant l’homologation. De surcroît, les considérations quantitatives ne sont pas les seules, et pour définir si une relation est effective ou non, il faut prendre en compte la qualité, l’importance des phénomènes qui la manifesteraient.

2.5 DÉCIDABILITÉ, SUJET OBSERVATEUR ET TEMPS

Toutes les propriétés, les relations comme les autres, sont soit décidables – par exemple, on statuera que deux termes sont identiques – soit indécidables – par exemple, on ne saura dire si deux termes sont identiques ou non.

Toutes les propriétés peuvent varier en fonction du sujet observateur et du temps. Il en va de même pour les relations établies entre termes. En effet : (1) d’un observateur à l’autre, des relations différentes voire incompatibles peuvent, à tort ou à raison, être établies entre les mêmes termes; (2) la nature des termes ou leur interaction peut varier avec le temps; ou (3) elles peuvent demeurer les mêmes tandis que change la connaissance qu’on en a (tel personnage pourra considérer tels termes comme unis par une relation d’identité, puis s’apercevra de son erreur et changera d’idée). Dans un texte littéraire, les observateurs peuvent être notamment les suivants : auteur réel ou empirique, auteur inféré (l’image que le texte donne de son auteur), narrateur, narrataire, personnage, lecteur inféré (l’image que le texte donne des lecteurs attendus et non attendus), lecteur réel ou empirique; pour des détails sur cette typologie des sujets observateurs, voir le chapitre sur l’analyse thymique.

2.6 STRUCTURE D'HOMOLOGATIONS

De droit, au moins un autre dispositif que l’homologation aurait pu trouver sa place ici, dans ce chapitre sur les structures : le carré sémiotique (relations d’opposition et d’implication). Nous avons cependant choisi de consacrer un chapitre distinct pour le carré sémiotique et d’approfondir ici l’homologation. Pour un autre exemple d’analyse où se trouvent des homologations, consulter le chapitre sur l’analyse figurative, thématique et axiologique.

2.6.1 DÉFINITION DE L’HOMOLOGATION

L’homologation est la relation entre (aux moins) deux paires d’éléments opposés en vertu de laquelle on peut dire que, dans l’opposition A/B, A est (toujours ou majoritairement) à B ce que, dans l’opposition C/D, C est (toujours ou majoritairement) à D8. La notation formelle d’une homologation se fait de la manière suivante : A : B :: C : D, par exemple, dans notre culture, blanc : noir :: vie : mort :: positif : négatif (le blanc est au noir ce que la vie est à la mort, etc.). On peut également utiliser la notation suivante : A / B :: C / D.

REMARQUE : QUELQUES DIFFICULTÉS DE L’ANALYSE PAR HOMOLOGATION

Dans l’établissement d’une structure d’homologation, on évitera les pièges suivants:

1. Découpler les termes d'une même opposition (par exemple: vie/positif :: mort/négatif, au lieu de vie/mort :: positif/négatif).

2. Inverser les relations de terme à terme (par exemple: positif/négatif :: mort/vie, au lieu de positif/négatif :: vie/mort).

3. Rapprocher des oppositions sans vérifier et démontrer qu’il y a homologation, en particulier tenir pour homologuée une opposition Z avec l’opposition X pour la simple raison que Z est homologuée avec Y et que cette dernière l’est avec X.

4. Employer involontairement des « oppositions composées », si l’on peut dire, dont les termes définissent plus d’une opposition. Par exemple, un doublet gain/perte, excès/manque serait préférable à un imprécis profusion/perte.

5. Confondre involontairement les perspectives synthétique (régissant par exemple l’opposition grotte / lune) et analytique (régissant l’opposition bas / haut dont participent les objets grotte et lune). Autrement dit, il ne faut pas confondre involontairement l’homologation des caractéristiques (bas / haut) et celle, indirecte, des éléments qui possèdent ces caractéristiques (grotte et lune).

2.6.2 RELATIONS CONSTITUTIVES DE L'HOMOLOGATION

Nous dirons que, entre les termes correspondants d’une opposition à l’autre d’une homologation (A et C, d’une part; B et D, d’autre part) s’établit une relation de similarité. De plus, entre les deux oppositions elles-mêmes s’établit une relation de similarité analogique qualitative. Enfin, entre les termes correspondants s’établit une relation de présupposition simple ou réciproque. Par exemple, il y aura relation de présupposition simple si à chaque fois que le thème de la vie est abordé dans un texte, il l’est sous l’angle positif mais que, par ailleurs, d’autres thèmes que la vie sont associés à une valeur positive (dit autrement : la vie présuppose nécessairement le positif, mais le positif ne présuppose pas nécessairement la vie). Il y aura relation de présupposition réciproque entre vie et positif si la vie est positive et rien d’autre ne l’est. Par ailleurs, l’association de vie et de positif exclut celle de vie et négatif et l’association de mort et négatif exclut celle de mort et positif.

2.6.3 HOMOLOGATION ET CONTRE-HOMOLOGATION

Appelons contre-homologation, une homologation qui inverse les termes de l’une des deux oppositions constitutives d’une homologation. Par exemple, un texte qui fait l’apologie du suicide valorise la mort et dévalorise la vie, prend le contre-pied de l’homologation habituelle et transforme l’homologation vie : mort :: positif : négatif en contre-homologation vie : mort :: négatif : positif.

Une homologation et sa contre-homologation peuvent appartenir à des niveaux systémiques identiques ou différents. Distinguons notamment, pour les textes et avec des aménagements pour les autres productions sémiotiques, les niveaux systémiques suivants, en passant des niveaux supérieurs aux niveaux inférieurs : (1) le dialecte (soit le système de la langue); (2) le sociolecte, l’emploi d’un dialecte et d’autres normes propres à une pratique sociale donnée (plutôt qu’à un groupe social donné) et qui définit notamment les discours (littéraire, religieux, etc.) et genres (roman, poésie, etc.) des productions sémiotiques; (3) l’idiolecte, l’emploi particulier du dialecte, d’un sociolecte et d’autres régularités, proprement idiolectales, qui définit notamment le style d’un producteur; (4) le textolecte, l’emploi particulier des trois systèmes précédents et d’autres régularités, proprement textolectales, dans une production sémiotique donnée (par exemple, tel texte de tel auteur); enfin, (5) l’analecte, soit les éléments d’une production sémiotique qui ne ressortissent d’aucun système. La condition minimale pour qu’une unité soit de nature systématique est d’être répétée au moins deux fois. Par exemple, un topos (ou sociotopos), par exemple devenir distrait parce qu’on est amoureux, est une unité sémantique qui, tout en ne correspondant pas à une unité dialectale, se trouve dans au moins deux textes (ou productions sémiotiques) d’auteurs différents; un idiotopos est une unité sémantique qui, tout en ne correspondant pas à une unité dialectale ou sociolectale, se trouve dans au moins deux textes du même auteur; un textotopos est une unité sémantique qui, tout en ne correspondant pas à une unité dialectale, sociolectale ou idiolectale, est répétée au moins deux fois dans un seul texte d’un seul auteur; une anatopos est une unité sémantique qui se trouve une seule fois dans un seul texte d’un seul auteur.

Homologation et contre-homologation sont des catégories symétriques. Toutefois il est possible de réserver le nom de contre-homologation à l’homologation marquée, c’est-à-dire moins fréquente (qu’elle ressortisse du même niveau systémique que l’homologation ou d’un niveau systémique différent). Par exemple, l’homologation vertu : vice :: positif : négatif, très courante en littérature, trouve sa contre-homologation, vertu : vice :: négatif : positif, dans la « littérature maudite » et dans les œuvres de Sade en particulier.

3. APPLICATION : LA BATAILLE DE L'ARGONNE DE MAGRITTE

La bataille de l’Argonne (1959) de Magritte met en présence - de manière polémique s’il faut en croire le titre qui évoque une bataille ou un groupe de batailles célèbres de la Première Guerre mondiale - deux objets opposés, comme le montrent les oppositions homologuées présentes dans le tableau ci-bas. Les caractéristiques énumérées dans ce tableau sont relatives à un aspect de comparaison (par exemple, la caractéristique « à gauche » est relative à l’aspect « position horizontale »)9. Nous n’avons pu obtenir les droits pour reproduire l’œuvre, où un nuage à gauche fait face à un rocher en lévitation à droite.

Principales oppositions homologuées dans La bataille de l’Argonne
Principales oppositions homologuées dans La bataille de l'Argonne

Même si de nombreuses oppositions éloignent les deux figures principales de l’oeuvre, ce qui paradoxalement ressort de la comparaison, c’est l’étonnante ressemblance globale entre un nuage et un rocher, pour peu qu’on suspende de manière surréaliste la lourdeur inhérente au rocher10. Les résultats de l’analyse sont fonction de l’objectif et du degré de précision de l’analyse. Comme l’objectif était de dégager et d’homologuer des oppositions, pour augmenter le contraste entre les deux objets analysés, nous avons considéré que le rocher, normalement, est lourd et qu’il relève du monde terrestre; dans l’œuvre, ces propriétés sont virtualisées, neutralisées – mais pas absentes, comme en fait foi l’effet surréaliste du tableau – au profit des propriétés contraires, partagées avec le nuage. Nous avons chaque fois choisi le degré de précision le plus adapté à notre objectif : par exemple, si une analyse fine classera comme effilé le nuage et comme trapu le rocher, une analyse plus globale les considérera comme des formes elliptiques similaires.

La lune dans le haut de la toile semble opérer une médiation entre le nuage et le rocher11 : d’une part elle est située dans une position horizontale plutôt intermédiaire; d’autre part, elle est à la fois blanche à gauche comme l’est globalement le nuage, situé à gauche, et foncée à droite (tellement qu’elle se confond avec le ciel) comme l’est globalement le rocher, situé à droite. Lune et rocher possèdent d’autres propriétés communes : la lune est aussi une masse de pierre en lévitation et à la surface accidentée; ce rocher a comme la lune, et comme le nuage de la toile, une face éclairée (celle tournée vers la terre) et une face sombre (celle tournée vers le ciel). Si la lune ne connaît que deux niveaux de luminosité, lumineux et sombre, nuage et rocher en possèdent trois : en effet, leur partie qui nous fait face est dotée d’une luminosité intermédiaire; ainsi nuage et rocher reproduisent en eux-mêmes, dans l’aspect de la luminosité, le caractère triadique de la composition entière, faite de trois figures.

4. OUVRAGES CITÉS

GENETTE, G. (1982), Palimpsestes, Paris, Seuil.
GREIMAS, A. J. et J. COURTÉS (1979), Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette Université.
HÉBERT, L. (2007), Dispositifs pour l’analyse des textes et des images. Introduction à la sémiotique appliquée, Limoges, Presses de l'Université de Limoges.
HÉBERT, L. (2009), « Autotextualité, intertextualité, architextualité, autoreprésentation, autoréflexivité et autres relations apparentées », dans L. Hébert et L. Guillemette (dir.), Intertextualité, interdiscursivité et intermédialité, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 71-78.
HÉBERT, L. et L. GUILLEMETTE (2009), « Intertextualité, interdiscursivité et intermédialité », dans L. Hébert et L. Guillemette (dir.), Intertextualité, interdiscursivité et intermédialité, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 1-9.
RASTIER, F. (1989), Sens et textualité, Paris, Hachette.

5. EXERCICES

A. Dégagez l'homologation ou les homologations présentes dans : « La mort est un sommeil ». Attention! Si vous dégagez plusieurs homologations, n'oubliez pas que chaque opposition doit être homologuée à chaque autre ; ne considérez pas l'opposition qui n’est pas complètement homologable.

B. Avec les éléments suivants, présentés dans l’ordre alphabétique, formez des oppositions et placez les termes de manière à dégager la série d'homologations à la base de la médecine traditionnelle chinoise (source: M. Deydier-Bastide, Abrégé de médecine traditionnelle chinoise, Désiris, 1997, p. 21) : bas, chaud, clarté, féminité, froid, haut, immatériel, immobilité, masculinité, mouvement, obscurité, solide, Yang, Yin.

C. Dégagez les homologations présentes dans « Elle est jolie / Comment peut-il encore lui plaire / Elle au printemps / Lui en hiver» (« Il suffirait de presque rien », chanson interprétée par Serge Reggiani).

1 Ce texte constitue la réécriture complète et l’enrichissement du premier chapitre de notre livre Dispositifs pour l’analyse des textes et des images (Hébert, 2007).

2 Les oppositions ne sont pas toujours dyadiques, et l’on rencontre des oppositions triadiques, tétradiques, etc.; par exemple, dans le récit du terroir québécois, les trois espaces suivants forment une opposition triadique : forêt/campagne/ville (voir le chapitre sur l’analyse figurative, thématique et axiologique).

3 Peut-on considérer qu’une relation non orientée équivaut à une relation biorientée? Probablement pas. Certes, si A est uni à B, cela suppose également que B est uni à A; mais, pour prendre une métaphore électrique, cela signifie simplement que les termes sont en contact, pas nécessairement qu’une « énergie » parcourt ce contact dans un sens et/ou dans l’autre.

4 La relation d’alternativité est une relation d’exclusion mutuelle dans laquelle il faut nécessairement que l’un des termes soit présent (l’absence de tous les termes est exclue); les termes sont alors dits alternatifs. Prenons un exemple impliquant deux termes, en se rappelant qu’une alternativité peut impliquer plus de deux termes : dans un texte réaliste si un être humain ne peut être vivant et mort à la fois il doit être l’un ou l’autre.

5 La présupposition simple peut être vue, pour sa part, comme une corrélation catégorielle (la présence de l’élément est de type 0 ou 1, sans autre possibilité) et asymétrique (opérant dans un seul sens).

6 Donnons un exemple simple des perspectives générative et génétique : si l’on dégage la vision du monde qui préside à la production d’une œuvre littéraire, on dégage une forme abstraite hypothétique ayant généré l’œuvre; si l’on étudie les brouillons, les avant-textes de cette œuvre, on se place dans une perspective génétique.

7 Greimas et Courtés (1979 : 310-311) distinguent quatre types de «références» : (1) celle qui s'établit à l'intérieur de l'énoncé (par exemple dans les anaphores syntaxiques («il» anaphorisant « soldat » dans « Le soldat se leva. Il prit ma main. ») et sémantiques («faire» anaphorisant «coudre» dans « Vas-tu le coudre? – Oui, je vais le faire. ») ; (2) celle instaurée entre l'énoncé et l'énonciation (par le biais des déictiques) ; (3) celle entre deux discours (qu'ils suggèrent d'appeler plutôt intertextualité) ; (4) celle établie entre l'énoncé et le monde naturel. Il est sans doute préférable d'employer le terme de « renvoi » pour englober ces diverses relations uniorientées et d'autres. Pour la référence proprement dite, terme dont l'une des acceptions semble correspondre à la quatrième référence de Greimas et Courtés (mais toutes les théories de la référence ne la conçoivent pas ou pas exclusivement comme renvoi aux objets du monde naturel), on peut employer « référence » ou encore, pour éviter la polysémie du terme, « référenciation ».

8 Selon Greimas et Courtés (1979: 174), dans une homologation, la relation entre A et B, d'un côté, et entre C et D, de l'autre, «est identique et peut être reconnue comme une des relations logiques élémentaires (contradiction, contrariété et complémentarité)». Par exemple, si je dis que la vie est à la mort ce que la non-mort est à la non-vie, la relation entre les deux oppositions est la contradiction. Chose certaine, l'homologation est sous-tendue par une relation de similarité entre les termes correspondants de chaque opposition et entre les oppositions elles-mêmes. Selon Rastier (1989 : 62): «Les matrices d'homologation jouent un rôle éminent dans la méthodologie des sciences sociales (chez Dumézil ou Lévi-Strauss, par exemple): elles fondent en effet le raisonnement analogique qualitatif.» Ajoutons que le raisonnement analogique quantitatif trouve son expression la plus rigoureuse dans les proportions mathématiques (par exemple, 10 est à 100 ce que 100 est à 1000), qui rendent possible la règle de trois.

9 En termes logiques, un aspect est un sujet (ce dont on parle) auquel est appliquée une caractéristique qui est un prédicat (ce qu’on dit du sujet); une caractéristique et l’aspect auquel elle se rapporte forment, ensemble, un prédicat appliqué à un sujet, soit ici le nuage ou le rocher. La relation entre l’objet comparé et un aspect de comparaison est une relation méréologique, plus précisément une relation entre un tout (par exemple, le nuage) et une de ses parties (par exemple, sa position horizontale).

10 Considérons que le tableau réalise une figure rhétorique, la comparaison métaphorique; rappelons alors qu’une des fonctions fréquentes de la comparaison, surtout surréaliste, est de faire voir la ressemblance jusque là inaperçue entre deux éléments fortement disparates.

11 Cette médiation de la lune peut être rapprochée de celle de la bouteille-carotte présente dans une autre œuvre de Magritte, L’explication (1952). Elle est analysée dans le chapitre sur le carré sémiotique.


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