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L'analyse figurative, thématique et axiologique

Par Louis Hébert
Université du Québec à Rimouski
louis_hebert@uqar.ca

1. RÉSUMÉ

Greimas

Algirdas Julien Greimas

L’analyse figurative / thématique / axiologique repose sur une typologie sémantique de Greimas. Un élément de contenu (sème, isotopie) peut être figuratif, thématique ou axiologique. Le figuratif recouvre tout ce qui évoque le perceptible. À l’opposé, le thématique, lui, se caractérise par son aspect proprement conceptuel. Ainsi, l'amour est un thème dont les différentes manifestations concrètes constituent des figures (fleurs, baisers, etc.). Figures et thèmes d’un texte participent d'une axiologie : ils sont corrélés soit à une modalité de type euphorie/dysphorie (ou, en termes non techniques, plaisir/déplaisir ou positif/négatif). Par exemple, les thèmes amour/haine sont en général associés, pour le premier, à l’euphorie, pour le second, à la dysphorie.

Ce texte se trouve en version longue dans le livre suivant :
Louis Hébert, Dispositifs pour l'analyse des textes et des images, Limoges, Presses de l'Université de Limoges, 2007.

Ce texte peut être reproduit à des fins non commerciales, en autant que la référence complète est donnée :
Louis Hébert (2006), « L’analyse figurative, thématique et axiologique », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/greimas/analyse-figurative-thematique-axiologique.asp.

2. THÉORIE

La sémantique de Greimas, du moins sa sémantique linguistique, est fondée sur le sème, partie d'un signifié. La répétition d'un sème constitue une isotopie. Au palier du texte (ou palier discursif, par opposition aux paliers du mot et de la phrase), les isotopies, comme les sèmes qui les fondent, se classent en figuratives, thématiques et axiologiques.

2.1 FIGURE ET THÈME

Dans l’analyse figurative / thématique / axiologique, le thème se définit en opposition à la figure. Le figuratif recouvre «dans un univers de discours donné (verbal ou non verbal), tout ce qui peut être directement rapporté à l'un des cinq sens traditionnels: la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher; bref, tout ce qui relève de la perception du monde extérieur.» Par opposition, le thématique, lui, «se caractérise par son aspect proprement conceptuel.» (Courtés, 1991: 163) Par exemple, l'amour est un thème dont les différentes manifestations sensibles constituent des figures : les fleurs, les baisers, etc.

2.2 AXIOLOGIE

L’axiologie repose sur ce qu’on appelle la catégorie thymique, c’est-à-dire l’opposition euphorie/dysphorie (ou, en mots moins techniques, positif/négatif ou attractif/répulsif). À partir de cette opposition, on produit l’inventaire des modalités axiologiques. Les principales modalités sont : l’euphorie, la dysphorie, la phorie (euphorie et dysphorie en même temps : ambivalence) et l’aphorie (ni euphorie ni dysphorie : indifférence). Pour d’autre modalités et un développement de l’analyse axiologique, on se reportera au chapitre sur l’analyse thymique.

REMARQUE : SUBDIVISIONS ICONIQUE-SPÉCIFIQUE/ABSTRAIT-GÉNÉRIQUE

Le figuratif s'articule en figuratif iconique/abstrait; de même le thématique et l'axiologique s'articulent en spécifique/générique. Le premier terme de chaque opposition est le plus particulier (par exemple, le figuratif iconique) et le second, le plus général (par exemple, le figuratif abstrait). Le classement d'un élément en iconique-spécifique/abstrait-générique dépend des relations en cause: ainsi /mouvement/ est une figure abstraite relativement à /danse/, figure iconique; mais celle-ci deviendra figure abstraite relativement à /valse/, figure iconique. L’opposition thématique vertu/vice est générique relativement à générosité/égoïsme, par exemple (la générosité n’est que l’une des vertus possibles). Selon Courtés (1991 : 243), la catégorie axiologique euphorie/dysphorie est générique relativement à joie/tristesse ou apaisement/déchaînement, par exemple.

REMARQUE : RESSEMBLANCES ENTRE SIGNIFIANT/SIGNIFIÉ ET SIGNIFIÉS FIGURATIF/THÉMATIQUE

Il faut  distinguer  signifiant/signifié  et  figure/thème. Le  signifiant est la partie perceptible du signe (par exemple, les lettres
v-e-l-o-u-r-s du mot « velours » se perçoivent visuellement). Le signifié est le contenu, la partie intelligible du signe (par exemple, le signifié de « velours » renvoie à l’idée d’un tissu, doux, etc.). La figure est un élément de contenu qui évoque une perception sensorielle (par exemple, le mot « velours », dans son contenu, évoque l’idée du toucher). Le thème est un élément de contenu qui n’évoque pas une perception sensorielle (par exemple, le contenu du mot « gloire » n’évoque pas, directement du moins, une perception sensorielle). En d’autres termes, pour distincts qu’ils soient, la figure ressemble au signifiant en ce qu’elle relève de la perception ; tandis qu’un contenu thématique est en quelque sorte la quintessence du contenu parce qu’il relève, tout comme le signifié, de l’intelligible et non du perceptible. Bref, il y a homologation : le signifiant est à la figure ce que le signifié est au thème.

Courtés (1991: 161-176) remarque l'homologation entre signifiant/signifié et signifiés figuratif/thématique, même s'il la tempère: la relation de présupposition réciproque qui fonderait le signe - et qui veut qu’avec tout changement au signifiant on produise un changement de signifié (comparez « bas » et « tas », par exemple) et vice-versa, abstraction faite de l'homonymie et de la polysémie - n'existe pas entre le figuratif et le thématique (par exemple, la figure des pleurs se rapportera au thème de la joie ou de la tristesse, et il existe des figures sans rattachement thématique et des thèmes non figurativisés). Toutefois, la récursivité, la répétition de la structure signifiant/signifié ne s'arrête pas là : comme nous venons de le voir, les niveaux figuratifs et thématiques du signifié sont à leur tour scindés en sous-niveaux spécifique/générique (ou iconique/abstrait pour le figuratif). Or, comme la figure iconique est celle qui donne la meilleure illusion référentielle (illusion de réalité), selon Courtés, elle constitue, par son évocation sensorielle plus grande, l'homologue du signifiant. Il en irait de même, avec effet décroissant, pour le niveau thématique et aussi le niveau axiologique.

2.3 RELATIONS ENTRE FIGURES, THÈMES ET AXIOLOGIE

Il est en général utile de chercher à grouper en oppositions les figures entre elles et les thèmes entre eux. Ainsi la figure du jour appellera-t-elle celle de la nuit, et le thème de l’amour, celui de la haine. Quant aux modalités axiologiques, si le regroupement oppositif euphorie/dysphorie va de soi, le statut oppositif d’autres combinaisons de modalités axiologiques, comme phorie/aphorie, est sujet à débat.

Passons maintenant aux relations entre les différents types de contenus. Différentes relations sont possibles entre contenus figuratifs, thématique et axiologique. Prenons la relation figure-thème, les mêmes principes valant pour les relations figure-axiologie et thème-axiologie. On aura les relations suivantes :

(1) une figure se rapportera à un seul thème (notamment dans le cas des symboles stéréotypés, par exemple un fer à cheval pour la chance);

(2) une même figure se rapportera à plusieurs thème, groupés ou non en opposition(s) (par exemple, la couleur verte pour l’espoir et « l’irlandité ») ;

(3) plusieurs figures, groupées ou non en opposition(s), se rapporteront à un même thème (pour reprendre notre exemple, un fer à cheval et un trèfle à quatre feuilles pour la chance).

(4) une ou plusieurs oppositions figuratives se rapporteront à une ou plusieurs oppositions thématiques. Les oppositions seront homologuées entre elles (par exemple, la figure haut sera au thème de l’idéal ce que la figure bas sera au thème de la réalité).

2.4 RELATIONS SEMI-SYMBOLIQUES

Lorsque la relation s’établit d’une opposition figurative à une opposition thématique (par exemple, jour/nuit (figures) avec vertu/crime (thèmes)), la sémiotique greimassienne parle de relation semi-symbolique. On pourrait être tenté d’étendre la relation semi-symbolique aux relations figures-axiologie (par exemple, jour/nuit et euphorie/dysphorie) et thèmes-axiologie (par exemple, espoir/désespoir et euphorie/dysphorie). Le principe commun des relations semi-symboliques de tout type serait d’établir une relation d’homologation entre deux oppositions dont l’une est plus proche du sensible (du perceptible) et l’autre plus proche de l’intelligible (du compréhensible) ; cependant, la relation où le différentiel sensible-perceptible est le plus net est celle entre figure et thème.

Lorsqu’une une relation s’établit de terme à terme, on parle de relation symbolique ; par exemple, la figure du bateau et le thème du voyage, si le bateau est, dans la production sémiotique analysée, la seule figure du voyage). Enfin, on parle de relation sémiotique dans tous les autres cas, par exemple, si la relation va d’un terme à une opposition (dans un même texte, la figure des pleurs pourra relever dans un cas de l’euphorie (pleurs de joie), dans un autre de la dysphorie).

2.5 DYNAMIQUE DES RELATIONS

L’inventaire des figures, thèmes et modalités axiologiques, de même que les relations entre les trois types de contenus sont susceptibles de varier en fonction des cultures, des discours, des genres, des productions sémiotiques particulières analysées, des sujets observateurs (auteurs, narrateurs, personnages, etc.) et des différents moments d’une temporalité donnée (temps réel (par exemple, le temps historique), temps thématisé (celui raconté ou présenté dans un texte ou un tableau, par exemple), etc.).

3. APPLICATION : « JE M’ENNUIE DE LA TERRE » DE GEORGES BOUCHARD

* * *

«Je m'ennuie de la terre»
Georges Bouchard (1917 : 70-71)

A. M. le juge Pouliot

René, 13 ans, mine chétive de phtisique. Sa main décharnée se pose sur sa poitrine comme pour empêcher la vie de s'exhaler dans les spasmes de la toux. Sa bouche laisse glisser ces mots faiblement articulés:

«Je m'ennuie de la terre.»

Pauvre petite fleur de la campagne étiolée à la ville! Son père avait abandonné la culture depuis cinq ans pour venir travailler aux usines de Victoriaville.

Tu n'es pas seul, mon petiot, à éprouver ce sentiment...

Il me regardait fixement avec de grands yeux alanguis par la souffrance et portant déjà des reflets d'éternité.

«Je m'ennuie de la terre.»

C'est le cri inavoué, étouffé par l'orgueil, qui monte du fond des âmes torturées par la misère des villes. La guerre met encore plus d'émoi dans ce remords qui se change en une détresse comme jamais on n'en connaît à la campagne.

«Je m'ennuie de la terre.»

C'est l'aveu ingénu de ces enfants assoiffés d'air et de lumière et qui étouffent dans les courettes minuscules des habitations urbaines. Pour ces petits le souvenir des champs vastes, des coteaux verdoyants, des bancs de neige témoins des premiers ébats est un supplice incessant.

«Je m'ennuie de la terre.»

C'est la meurtrissure profonde mise au coeur de l'ouvrier des villes, quand il réfléchit sur la liberté de l'homme des champs. La gaîté, la tendresse, l'intimité, la paix familiale sont des produits ruraux qui ne résistent pas toujours à l'exportation.

«Je m'ennuie de la terre.»

C'est la vérité qui émane des oeuvres de plusieurs écrivains célèbres qui ont fait leurs demeures au milieu des champs et des bois, comme Botrel, Mercier, Bazin, etc.

«Je m'ennuie de la terre.»

C'est la plainte nostalgique qui enveloppe les âmes délicates, nobles et pleines d'idéal... sans que parfois cette plainte monte aux lèvres.

— Mon gars, tu t'ennuies de la terre, mais tu iras bientôt habiter les jardins du paradis...

Tu t'ennuies de la terre... Moi aussi.

* * *

Appliquons sommairement l’analyse figurative, thématique et axiologique à «Je m'ennuie de la terre», récit du terroir québécois (pour des compléments d’analyse, voir Hébert 2000). On pourrait considérer que l’opposition figurative centrale est spatiale : campagne/ville. À cette opposition correspond une autre opposition figurative importante, celle de paradis/enfer. Notons qu’il faut distinguer réel et perceptible : des éléments irréels comme le paradis et l'enfer n'en sont pas moins présentés classiquement comme des lieux, respectivement, de délectation et de torture sensuelles. La figure du paradis est explicite: «tu iras bientôt habiter les jardins du paradis.» (p. 71). Celle de l’enfer est implicite, elle affleure dans des expressions comme «âmes torturées» (p. 70) ou «supplice incessant» (p. 71). Ces deux oppositions sont associées à une troisième opposition figurative : vie/mort. La terre aurait apporté la vie à René, le héros moribond de la nouvelle, quant au paradis n'est-il pas généralement considéré comme la demeure de ceux qui ont la «vie éternelle»? Une quatrième opposition figurative importante est celle qui oppose nature et culture. Appartiennent à la culture, au sens anthropologique du terme, toutes les productions typiquement humaines (chaise, agriculture, guerre, théâtre, etc.). Le thème prépondérant nous apparaît être celui de l’opposition entre le spirituel et le temporel. Voyons l'axiologie des figures et thèmes dégagés. Les oppositions sont formulées de telle sorte que le premier terme soit celui considéré comme euphorique par le texte. Sont ainsi euphoriques: campagne, paradis, vie et nature; inversement sont dysphoriques: ville, enfer, mort et culture. Ces oppositions apparaissent toutes homologuées entre elles (c’est-à-dire que les termes de gauche sont liés entre eux et les termes de droite entre eux), même la vie, au sens biologique du terme, est associée au spirituel puisque la campagne, paradis sur terre, favorise la santé.

REMARQUE : VIE/MORT : FIGURES OU THÈMES?

Un des postulats de la sémiotique greimassienne standard veut que les oppositions vie/mort (opposition individuelle) et nature/culture (opposition sociale) se trouvent dans toute production sémiotique. Pour Courtés, vie/mort, nature/culture ne sont pas des thèmes, mais des figures abstraites (1991: 232) qu'il regroupe dans le figuratif existentiel (1991: 237). On peut chicaner sur cette classification, en particulier pour nature/culture. Quoi qu’il en soit, nous avons considérer ces deux oppositions comme des figures.

Une structure thématique, figurative et axiologique dans « Je m’ennuie de la terre »

Axiologie

euphorie

dysphorie

Thème

spirituel

temporel

Figures

nature

culture

 

vie

mort

 

paradis

enfer

 

campagne

ville

L'enjeu idéologique principal du texte sera le positionnement de René dans l'un des quatre espaces (la mort temporelle, bien sûr, permet le passage des espaces temporels aux spirituels). Le passage d'un espace positif à un espace négatif prend la forme ici de l'exil. L'opposition rester/partir, propre à l'espace premier, se transforme en rester/retourner dans le second espace (le retour d'exil). Ce n'est pas le changement spatial qui est dysphorique en soi — bien que le nomadisme, associé entre autres à la figure du coureur des bois, soit dysphorique de manière générale dans le récit du terroir québécois —, rester, partir ou retourner seront euphoriques ou dysphoriques selon les points de départ et d'arrivée envisagés. Cet exil temporel n'est pas sans évoquer l'exil spirituel. Est-il besoin de rappeler que le paradis terrestre dont furent chassés Adam et Ève est décrit comme un jardin? Double exil donc : de l'habitant de la campagne, de l'homme du paradis. René, exilé depuis cinq ans de sa terre, en sera définitivement privé par la mort. Cependant, il obtiendra un objet homologue et de valeur supérieure : «les jardins du paradis». La valorisation du «jardin du paradis» et de la terre laisse transparaître une préférence pour une nature dominée par l'homme : nous sommes loin de la forêt et pour cause! La forêt, lieu de trappage et de bûchage, est perçue dans l'idéologie du terroir comme source d'errance et de perdition morale (pensons au bûcheron-trappeur François Paradis dans Maria Chapdelaine de Louis Hémon). Le récit, le genre (et l'idéologie qui les sous-tend) valorisent donc la nature, mais une nature ordonnée par l'homme, une nature-culture. Notons que René passera d'une «fleur de la campagne», c'est-à-dire sauvage, à une fleur des «jardins du paradis», c'est-à-dire cultivée (dans le sens anthropologique aussi). La terre, ainsi que le jardin, occupe simultanément la position de culture par rapport à la forêt et de nature par rapport à la ville. Le contraire absolu de la ville, c'est la forêt. Le lieu commun (topos) antique et classique du juste milieu travaille semble-t-il cette triade spatiale.

4. OUVRAGES CITÉS

BOUCHARD, G. (1917), «Je m'ennuie de la terre», Premières semailles, Québec, Imprimerie de l'Action Sociale, p. 70-71.
COURTÉS, J. (1991), Analyse sémiotique du discours. De l'énoncé à l'énonciation, Paris, Hachette, 302 p.
COURTÈS, J. (1995), Du lisible au visible, Bruxelles, De Boeck Université, 284 p.
HÉBERT, L. (2000), « Analyse des espaces représentés dans la littérature. Le récit du terroir «Je m'ennuie de la terre» de Georges Bouchard », RS/SI, Montréal, Association canadienne de sémiotique, 19, 2-3, p. 193-215.

5. EXERCICE

Dans « Le dormeur du val » de Rimbaud, dégagez les principales figures, les principaux thèmes et leur axiologie.

« Le dormeur du val »

C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil de la montagne fière,
Luit; C'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font plus frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


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