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La sémiotique de Tzvetan Todorov

Par Lucie Guillemette et Josiane Cossette

Université du Québec à Trois-Rivières

lucie_guillemette@uqtr.ca

1. RÉSUMÉ

Todorov

Tzvetan Todorov

L’approche de la sémiotique chez Todorov est indissociable de l’histoire, qu’il envisage comme étant une fiction. Les théories de Todorov ne visent pas à définir ce que sont le signe et le symbole, mais plutôt à en présenter les diverses approches selon la discipline et l’époque. Todorov effectue des parallèles entre l’histoire et la sémiotique en se penchant longuement sur la crise « Classiques »/« Romantiques » afin de voir comment la rupture est survenue et quelles ont été ses implications au niveau de la signification et de l’interprétation.

Les théories de Todorov (1977 et 1978) visent globalement à démontrer que le signe (ou symbole) n’est pas univoque et que plusieurs facteurs peuvent faire varier son interprétation. Selon son optique, la « sémiotique n’est une discipline valable que si elle est synonyme de symbolique » (1978 : 16). En somme, alors que plusieurs de ses prédécesseurs s’attardaient uniquement au rapport histoire-discours, Todorov y ajoute la notion fondamentale d’énonciation (production d’une phrase – d’un énoncé – dans des circonstances données de communication).

Ce texte peut être reproduit à des fins non commerciales, en autant que la référence complète est donnée :
Lucie Guillemette et Josiane Cossette (2006), « La sémiotique de Tzvetan Todorov », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/todorov/semiotique.asp.

2. THÉORIE

2.1 LA CRISE « CLASSIQUES » VS « ROMANTIQUES »

Todorov s’intéresse à la crise opposant les Classiques et les Romantiques puisque « s’opère à cette époque [la fin du XVIIIe siècle], dans la réflexion sur le symbole, un changement radical (même s’il est préparé depuis longtemps), entre une conception qui avait dominé l’Occident depuis des siècles, et une autre, que je crois triomphante jusqu’à aujourd’hui » (1977 : 10).

REMARQUE : PLATON ET LES CLASSIQUES

La crise entre Classiques et Romantiques est avant tout philosophique. Elle fait écho aux considérations esthétiques et ontologiques qu’on retrouvait chez Platon (les « Classiques sont représentés par les philosophes dont la pensée s’inscrit dans la lignée platonicienne) sur le principe d’imitation.

2.2 RAPPORT HISTOIRE-LANGUE-DISCOURS

C’est le lien étroit qui existe entre langue, histoire et discours qui mène à la question de la signifiance chez Todorov. Face à l’idée d’Histoire (dominée par le système chez les Classiques et dominant le système chez les Romantiques), Todorov convient que « le présent n’est ni la simple répétition, ni la négation totale du passé » (1977 : 357).

Cette réflexion de base influence les considérations quant à la langue et au discours, elles aussi plongées dans la pluralité. La position contemporaine de l’écriture de Théories du symbole (1977) serait selon Todorov « typologique, plurifonctionnelle, hétérologique » (1977 : 359). Plutôt que de parler d’un seul discours ou d’une multiplicité de discours tous différents les uns des autres, Todorov parle de types de discours, qui varient selon la culture, l’époque, en somme le contexte d’énonciation. Cela fait en sorte qu’une kyrielle de normes est possible, sans toutefois que chaque texte construise son propre code.

Par conséquent, la position todorovienne est aussi nuancée quant à la signification : « les modes de signifiance sont multiples et irréductibles l’un à l’autre; leur différence ne donne aucun droit à des jugements de valeur » (1977 : 359). Ces considérations débouchent sur la construction d’une symbolique du langage.

Les tableaux qui suivent présentent synthétiquement les rapports histoire-langue-discours selon les Classiques, les Romantiques et Todorov.
Rapport histoire-langue-discours en général
Todorov : Rapport histoire-langue-discours en général
Rapport histoire-langue-discours en particulier
Todorov : Rapport histoire-langue-discours en particulier

2.3 LE SYMBOLISME LINGUISTIQUE

Sachant qu’il existe d’autres sémiotiques ou d’autres symboliques, Todorov s’en tient néanmoins au symbolisme linguistique. Il procède d’abord à la distinction entre langue et discours.

2.3.1 DISTINCTION LANGUE-DISCOURS

- La langue : « existe […] avec, comme éléments de départ, un lexique et des règles de grammaire, et comme produit final, des phrases » (1978 : 9).

- Le discours : « est une manifestation concrète de la langue, et il se produit nécessairement dans un contexte particulier, où entrent en ligne de compte non seulement les éléments linguistiques mais aussi les circonstances de leur production : interlocuteurs, temps et lieu, rapports existant entre ces éléments extralinguistiques » (1978 : 9). Cela produit des énoncés.

2.3.2 SENS INDIRECT

Un des apports de Todorov à la sémiotique réside dans l’intérêt qu’il porte à l’énonciation, aux conditions de production du discours. Le sens indirect revêt par conséquent une grande importance quand vient le temps de se situer ni du côté des linguistes (il n’existe que ce que nous percevons, alors le sens indirect n’existe pas), ni des poètes romantiques (tout est métaphore, il n’y a que du sens indirect).

Selon Todorov, « un texte ou un discours devient symbolique à partir du moment où, par un travail d’interprétation, nous lui découvrons un sens indirect » (1978 : 9). Par exemple, « Il fait froid ici » peut, selon son sens direct, signifier qu’il fait froid ici. Toutefois, s’il est adressé à une tierce personne se trouvant dans la même pièce que l’énonciateur, ce même énoncé peut signifier à l’autre, indirectement, de fermer la fenêtre.

2.3.3 LA SYMBOLIQUE DU LANGAGE

Pour que se dessine une symbolique du langage, il faut tout d’abord que la décision d’interpréter soit prise. Cette décision repose sur le principe de pertinence « selon lequel si un discours existe, il doit bien y avoir une raison à cela » (1978 : 26). Quand un discours semble ne pas répondre à ce principe, le récepteur cherchera spontanément si « par une manipulation particulière ledit discours ne pourrait pas révéler sa pertinence » (1978 : 26). Cette manipulation est en fait l’interprétation. Un facteur (découlant du principe de pertinence) qui influence la décision d’interpréter est celui des indices textuels. Par exemple, l’indication « allégorie » au début d’un texte incitera le récepteur à chercher le sens indirect du texte, plutôt que de ne s’en tenir qu’au sens littéral.

Une fois prise la décision d’interpréter, plusieurs facteurs influencent l’interprétation :

  • Le rôle de la structure linguistique;
  • La hiérarchie des sens;
  • La direction de l’évocation;
  • La structure logique.

Attardons-nous plus spécifiquement à la hiérarchie des sens et à la direction de l’évocation, qui comprennent chacune plusieurs sous-points.

2.3.4 LA HIÉRARCHIE DES SENS

Afin de faire le point sur le rapport sens direct/sens indirect, sens « qui trahissent une hiérarchie – qui n’est pas toujours assumée par son auteur » (1978 : 49), Todorov se propose de baliser la problématique de la hiérarchie des sens en situant et définissant les discours littéral, ambigu et transparent.

- Le discours littéral : celui qui signifie sans rien évoquer (aucun texte concret n’y parvient dans sa totalité, mais c’est ce qu’ont tenté de faire les Nouveaux romanciers).

- Le discours ambigu : plusieurs sens du même énoncé sont à mettre exactement sur le même plan. Possibilité d’ambiguïté syntaxique, sémantique, pragmatique.

- Le discours transparent : aucune attention n’est prêtée au sens littéral (par exemple, dans l’allégorie).

2.3.5 LA DIRECTION DE L’ÉVOCATION SYMBOLIQUE

La direction de l’évocation symbolique est le choix que font les interlocuteurs de la direction même dans laquelle faire fonctionner l’évocation. Par exemple, un traducteur de Lewis Carroll doit fournir des efforts constants pour que les sens direct et indirect présents en même temps dans un jeu de mots anglophone se retrouvent dans la traduction française. Voici un exemple où l’expression to be gone est ambiguë :

« – Are their heads off ? shouted the Queen.
– Their heads are gone, if it please your Majesty ! the soldiers shouted in reply. »

Afin de ne pas perdre le jeu de mots, les traducteurs français ont dû introduire l’expression « perdre la tête » :

« – Leur a-t-on bel et bien tranché la tête ? s’enquit, à tue-tête, la reine.
– Ils ont bel et bien perdu la tête, s’il plaît à votre Majesté, répondirent, à tue-tête, les soldats (Parisot, 1989 : 906).

Afin d’aller dans le sens d’un discours ambigu, les traducteurs ont même remplacé shouted (crier) par à tue-tête.

2.3.5.1 DISTINCTION ÉNONCÉ-ÉNONCIATION

La distinction entre énoncé et énonciation permet, chez Todorov, de comprendre l’influence qu’a le contexte d’énonciation sur le sens de l’énoncé.

- Énoncé : segment de discours résultant de l’acte de la parole.
- Énonciation : renvoie en fait au contexte d’énonciation. Qui a formulé l’énoncé, dans quelles conditions ? etc.

L’ironie est un procédé qui joue à la fois sur l’énoncé et l’énonciation. Si je dis : « Quel beau temps » alors qu’une tempête déferle, mon interlocuteur saisira l’ironie de l’énoncé grâce à ce paradoxe, mais également puisqu’il a admis, d’abord, que je connaissais le sens des mots et que je disais cela consciemment (ce qui relève de l’énonciation).

2.3.5.2 CONTEXTE SYNTAGMATIQUE, 2.3.5.3 CONTEXTE PARADIGMATIQUE

Le contexte concerne la nature des moyens permettant d’établir le sens indirect :

  • Référence au contexte syntagmatique immédiat (ce qui a été dit avant, dans quelles circonstances, etc.);
  • Renvoi à la mémoire collective (contexte paradigmatique).

Il est possible de sortir un énoncé de son contexte d’énonciation afin d’en tirer une interprétation erronée, ce qui démontre l’importance de la prise en compte de l’énonciation.

La conversation ci-bas démontre bien les rapports entre le sens de l’expression et l’énonciation selon le contexte.

REMARQUE : Syntagmatique/paradigmatique

Le schéma plus bas réfère à la projection de l’axe paradigmatique sur l’axe syntagmatique, telle qu’élaborée par Jakobson. L’axe syntagmatique, horizontal et linéaire, est celui des conjonctions (Greimas et Courtés, 1979 : 25). Le syntagme, élément de l’axe syntagmatique, correspond à une unité par rapport à son environnement. Si l’environnement se résume à une phrase, le syntagme sera un mot faisant partie de la phrase. Si l’environnement est un mot, le syntagme sera une syllabe, etc. Une phrase peut donc être formée comme suit : article + nom commun + verbe + article + complément d’objet direct. Le « + » introduit la conjonction.

L’axe paradigmatique est l’axe des commutations et des substitutions (Greimas et Courtés, 1979 : 25). Ses éléments virtuels sont liés entre eux par la disjonction … ou … (1979 : 266). Le paradigmes sont donc les « éléments susceptibles d’occuper une même place dans la chaîne syntagmatique ou […] un ensemble d’éléments substituables les uns aux autres dans un même contexte » (1979 : 267). Par exemple, dans la phrase (axe syntagmatique) « Le chat est gris », le syntagme « gris », épithète, pourrait être remplacé par une autre épithète selon le contexte : rouge ou gros, ou jaune ou petit, etc., qui constituent autant de paradigmes.

L'axe paradigmatique est l'axe des commutations et des substitutions

Dans l’échange précédent, « [l]a mémoire collective (ici, proprement linguistique) – paradigmatique – fait venir à l’esprit le sens courant, donc fondamental, des locutions “ comment allez-vous ” et “ comme vous le voyez ”. Le contexte syntagmatique immédiat (les mots “ aveugle ”, “ paralytique ”) réveille le sens littéral des éléments composant ces locutions (aller, voir ) » (1978 : 64). Comme l’aveugle ne voit pas et que le paralytique ne « va » pas, c’est leur mémoire collective commune et leur appartenance au même groupe social qui leur permet de se comprendre.

2.4 SYNTHÈSE THÉORIQUE

En somme, Todorov modifie la dyade histoire/discours en une triade histoire/discours/énonciation. Comme il postule la variabilité de ces données, l’interprétation doit par conséquent intervenir. Des stratégies interprétatives, divisées en deux types, existent : l’interprétation finaliste (par exemple, l’exégèse patristique chez les Classiques), puis l’interprétation opérationnelle (par exemple, la philologie chez les Romantiques).

De nos jours, des stratégies comme la critique marxiste ou freudienne seraient considérées comme finalistes, puisque « le point d’arrivée est connu d’avance et ne peut être modifié » (1978 : 161). L’interprétation opérationnelle tiendrait quant à elle dans l’analyse structurale, comme chez Lévi-Strauss pour les mythes ou Jakobson pour la poésie. Ce qui est donné d’avance n’est pas le résultat, mais « la forme des opérations auxquelles on a droit de soumettre le texte analysé » (1978 : 161). De plus, l’analyse structurale met entre parenthèses le contexte historique.

Todorov, vis-à-vis ces approches différentes, met l’accent sur un point : l’idéologie. « Aucune interprétation n’est libre de présupposés idéologiques, et aucune n’est arbitraire dans ses opérations » (1978 : 162). La signification est donc une question d’interprétation et d’énonciation et « la détermination entre stratégies de l’interprétation et histoire sociale passe par un relais essentiel, qui est l’idéologie elle-même » (1978 : 163).

3. APPLICATIONS

3.1 APPLICATION I: L'Évangile SELON SAINT-MARC

* * *

Extrait de l’Évangile selon Saint-Marc (2; 21,22)

Personne ne coud une pièce d'étoffe neuve à un vieux vêtement ; sinon le morceau neuf qu'on ajoute tire sur le vieux vêtement, et la déchirure est pire. Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon, le vin fera éclater les outres, et l'on perd à la fois le vin et les outres ; mais à vin nouveau, outres neuves.

* * *

Si nous prenons ces énoncés selon leur sens littéral et omettons le contexte d’énonciation, nous pouvons réellement croire qu’ils correspondent à des recommandations de couture et de cuisine. Or, le contexte syntagmatique est ici tributaire de l’interprétation que nous voulons tirer. Sachant que cet énoncé provient de l’Évangile selon Saint-Marc (2;21) et que l’énonciateur en est Jésus, nous chercherons le sens allégorique, sans lequel cet énoncé est dénué de sens. Nous devons donc considérer ces énoncés à titre d’illustration. Davantage que le vêtement, le vin et les outres, c’est l’opposition entre neuf et vieux ou bon et mauvais et leur mélange qui doit, à la lumière du contexte syntagmatique, éclairer et diriger notre interprétation.

En effet, ces métaphores sont utilisées durant la scène où Jésus a dit « Lève-toi et marche » à un paraplégique, celui-ci étant alors capable de se lever et de marcher. Dans cette même scène, juste avant les énoncés ci-dessus, voici ce qui est dit :

« Et des scribes pharisiens, voyant qu'il mangeait avec les pécheurs et les collecteurs d'impôts, disaient à ses disciples : “Quoi ? Il mange avec les collecteurs d'impôts et les pécheurs ?” Jésus, qui avait entendu, leur dit : “Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs.” Les disciples de Jean et les Pharisiens étaient en train de jeûner. Ils viennent dire à Jésus : “Pourquoi, alors que les disciples de Jean et les disciples des Pharisiens jeûnent, tes disciples ne jeûnent-ils pas ?” Jésus leur dit : “Les invités à la noce peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux ? Tant qu'ils ont l'époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais des jours viendront où l'époux leur aura été enlevé ; alors ils jeûneront, ce jour-là.” »

Ici, Jésus reproche donc en fait à ses détracteurs d’appliquer un principe en ne tenant pas compte des circonstances qui peuvent en justifier la transgression. Ce que nous avons qualifié de « recommandations de couture et de cuisine » revêt dans le présent exemple une illustration métaphorique, voire allégorique. Les lois ont, pour ainsi dire, été faites pour l’homme et non l’homme pour les lois. Selon certaines circonstances – dont celle de la noce –, si l’on applique la loi, l’avenir risque d’être bien peu solide. Il est donc préférable de contourner certains principes si les répercussions futures de leur application risquent d’être négatives. Le contexte syntagmatique infuse donc tout le sens aux énoncés, sans lequel seul leur sens premier – bien peu signifiant – est actualisé.

3.2 APPLICATION II : ALISS DE PATRICK SENÉCAL

* * *

Extrait d’Aliss
Patrick Senécal (2000 : 305-308)

Il y a un patient couché sur la table d’opération. Nu, sur le dos, immobilisé par des sangles. Je suis vraiment pas surprise, mais pas rassurée non plus. Il est sûrement pas dans cette position pour prendre le thé avec nous. […] Posé sur un trépied, à l’écart, un plateau recouvert d’instruments chirurgicaux me fait frissonner. […]

– Mais voilà, la chance s’arrête ici. Vous voilà ligoté sur notre table d’opération. Alors, maintenant que vous êtes sur la table, il est temps de vous mettre à table.

Bone prononce cette dernière phrase en lançant un clin d’œil à son comparse. Chair fait une moue admirative et amusée :

– Pas mal, celle-là… Mais je crois qu’il aura de la difficulté à se mettre à table, puisqu’il n’est pas dans son assiette !

– Ah, ah ! Amusant aussi ! L’important, en se mettant à table, c’est de ne pas se mettre les pieds dans les plats!

– Ho, ho ! Fort habile ! De toute façon, quand on se met à table, on…

– Mais arrêtez ça ! que je m’écrie, agacée et déboussolée.

* * *

Dans cet extrait du roman, plusieurs énoncés sont en fait des expressions idiomatiques, qu’il ne faudrait pas, normalement, prendre au pied de la lettre (comme « broyer du noir » par exemple). Démontrant bien la coexistence de stratégies interprétatives opposées, les dialogues de Senécal alternent quant à eux entre sens littéral et sens courant et les deux sens possibles sont présents en même temps. Concentrons-nous sur cet aspect.

Ici, l’expression « ne pas être dans son assiette » peut revêtir à la fois le sens courant (mémoire collective commune), puis le sens littéral. Le personnage, qui servira apparemment de repas, ne se sent effectivement pas très bien (sens courant). Toutefois, reposant directement sur la table, il n’est donc pas dans une assiette (sens littéral). Il en va de même avec « les pieds dans les plats » : le personnage n’aurait pas dû se placer dans une situation embarrassante (sens courant) ; de fait, il serait préférable pour lui de ne pas placer ses pieds dans les assiettes (sens littéral) et ce, en raison de l’humour (noir) de ses bourreaux.

Aussi, ce discours pourrait être qualifié de discours ambigu puisqu’il peut autant revêtir le sens littéral, que le sens courant. Ici, le contexte syntagmatique (ce qui entoure les énoncés ambigus et qui fait en sorte que nous savons qu’un individu est étendu sur une table où il sera dévoré) permet de saisir la possibilité de réveiller le sens littéral, alors que le contexte paradigmatique permet le renvoi à la mémoire collective commune de tous les acteurs de cette scène, qui connaissent le sens courant de l’expression. Alors que les Classiques prêchaient uniquement par le sens « caché » de l’expression, comme nous le montre l’extrait du Nouveau-Testament cité plus tôt, les Romantiques demeuraient inévitablement à l’intérieur du texte (beauté et autosuffisance) sans recourir à la mémoire collective. Les stratégies interprétatives et les textes actuels (comme Aliss) rendent possible la coexistence de deux significations, sans que l’une ou l’autre ne prévale.

4. OUVRAGES CITÉS

PARISOT, Henri (1989), « Pour franciser les jeux de langage d’“Alice” », dans Lewis Carroll, Œuvres, édition présentée et établie par Francis Lacassin, Paris, Robert Laffont, p. 901-919.
SENÉCAL, Patrick (2000), Aliss, Beauport, Alire.
TODOROV, Tzvetan (1977), Théories du symbole, Paris, Seuil.
TODOROV, Tzvetan (1978), Symbolisme et inteprétation, Paris, Seuil.

5. EXERCICES

A. Trouvez les différents sens que peuvent revêtir les énoncés suivants, selon le contexte d’énonciation.
  1. C’est beau.
  2. Il était en feu.
  3. Cela manque de piquant.
  4. C’est une valeur sûre.
  5. Se retirer de la circulation.
  6. Apercevoir une vieille sorcière.
B. Déterminez, dans les phrases suivantes, si le contexte permettant de tirer une compréhension juste de l’énoncé est syntagmatique ou paradigmatique.
  1. J’ai découvert le corps de mon amante. Elle en fut fort satisfaite.
  2. Il a découvert l’Amérique.
  3. « Le corps du Christ ». « Amen ».
  4. Quelques heures après une représentation, on a trouvé un homme mort de rire au cinéma.

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