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L'analyse sémique

Par Louis Hébert

avec la collaboration de Lucie Arsenault

Université du Québec à Rimouski

louis_hebert@uqar.ca

1. Résumé

Rastier

François Rastier

L’analyse sémique d’une production sémiotique, un texte par exemple, vise à en dégager les sèmes, c’est-à-dire les éléments de sens, à définir leurs regroupements (isotopies et molécules) et à stipuler les relations entre ces regroupements (relations de présupposition, de comparaison, etc., entre isotopies). Lorsqu’un sème est répété, il constitue une isotopie. Par exemple, dans « Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif / Ses mâts touchaient l’azur sur des mers inconnues » (Émile Nelligan, « Le vaisseau d’or »), les mots « Vaisseau », « mâts » et « mers » contiennent, entre autres, le sème /navigation/. La répétition de ce sème forme donc l’isotopie /navigation/. Une molécule sémique est un groupement d’au moins deux sèmes apparaissant au moins deux fois ensemble dans une même unité sémantique (par exemple, un même mot). Ainsi dans le poème déjà cité, on trouve une molécule sémique constituée des sèmes /précieux/ + /dispersion/. Elle apparaît au moins dans les « cheveux épars » de la Cyprine d’amour (la déesse Vénus), laquelle « s’étalait » à la proue du vaisseau, également dans le retrait des trésors du navire que les marins « entre eux ont disputés ».

Ce texte se trouve en version longue dans le livre suivant :
Louis Hébert, Dispositifs pour l'analyse des textes et des images, Limoges, Presses de l'Université de Limoges, 2007.

Ce texte peut être reproduit à des fins non commerciales, en autant que la référence complète est donnée :
Louis Hébert (2006), « L'analyse sémique », avec la collaboration de Lucie Arsenault, dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/rastier/analyse-semique.asp.

2. THÉORIE

L’analyse sémique d’une production sémiotique, un texte par exemple, vise à en dégager les sèmes, c’est-à-dire les éléments de sens, à définir leurs regroupements (isotopies et molécules) et à stipuler les relations entre ces regroupements (relations de présupposition, de comparaison, etc., entre isotopies).

Nous simplifions ici une partie de la matière qu’on trouve dans le chapitre sur la sémantique interprétative de Rastier (Rastier, 1989, 1991, 1994, 1996 [1987] et 2001; Hébert, 2001).

2.1 SÈME ET ISOTOPIE

Il convient de revenir à la définition du signe. Le signe se décompose en signifiant, la partie perceptible du signe (par exemple, les lettres v-a-i-s-s-e-a-u) et signifié, la partie intelligible du signe, le contenu sémantique associé au signifiant (par exemple, le sens du mot « vaisseau »). Le signifié se décompose en sèmes (par exemple, le signifié ‘vaisseau’ contient des sèmes comme /navigation/, /concret/, etc.). Une isotopie est constituée par la répétition d’un même sème. Par exemple, dans « Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif / Ses mâts touchaient l’azur sur des mers inconnues » (Émile Nelligan, « Le vaisseau d’or »), les mots « Vaisseau », « mâts » et « mers » contiennent, entre autres, le sème /navigation/ et forment donc l’isotopie /navigation/.

2.2 SIGNES CONVENTIONNELS

Les signes conventionnels indiqués dans le tableau plus bas permettent de distinguer, par exemple, le signe (le mot) (1) «concret» ; du signifié qu'il véhicule, (2) 'concret' ; du signifiant de ce signe, (3) concret, constitué des phonèmes c-on-c-r-et et des lettres c-o-n-c-r-e-t ; du sème /concret/ (dans 'couteau', par exemple) ou de l'isotopie /concret/ (dans «couteau d'acier», par exemple). Par ailleurs, l’emploi d’une seule barre oblique indique une opposition (par exemple, vie/mort).

Signes conventionnels

«signe» (guillemets)

signifiant (italiques)

'signifié' (apostrophes)

/sème/ et /isotopie/ (barres obliques)

2.3 MOLÉCULE SÉMIQUE

Une molécule sémique est un groupement d’au moins deux sèmes corécurrents (apparaissant et réapparaissant ensemble). À une molécule correspond un groupe d’isotopies (faisceau isotopique) qui indexent plus ou moins les mêmes signifiés. Ainsi dans le même poème de Nelligan que nous avons cité, on trouve une molécule sémique constituée des sèmes /précieux/ + /dispersion/. Elle apparaît au moins dans (1) les « cheveux épars » de la belle Cyprine d’amour, laquelle (2) « s’étalait » à la proue du vaisseau, également dans (3) le retrait des trésors du navire que les marins « entre eux ont disputés ».

Il faut distinguer entre la molécule modèle (type) et ses manifestations (occurrences). Toutes les manifestations d’une molécule n’ont pas nécessairement à posséder le même nombre de sèmes que la molécule modèle. Par exemple, on peut considérer que la molécule /corps/ + /précieux/ + /dispersion/ vaut pour les trois manifestations présentées plus haut, même si la troisième manifestation est moins représentative de la molécule modèle puisque les trésors (en excluant un possible sens métaphorique) ne sont pas liés au corps humain.

2.4 SÈMES ACTUALISÉ/VIRTUALISÉ, INHÉRENT/AFFÉRENT

Les unités sémantiques connaissent deux statuts. L’unité-type est une unité manifestée plus ou moins intégralement à travers ses occurrences, ses manifestations. Ainsi le contenu en langue du signe «eau» est un type susceptible de varier en fonction de ses occurrences en contexte dans diverses locutions ou phrases (« eau de vie », « eau potable », « eau lourde », etc.).

Les sèmes appartenant au signifié-type en langue (dans le système de la langue, dans le dictionnaire, pour employer une image) sont appelés sèmes inhérents et sont actualisés (activés) en contexte, sauf instruction de virtualisation (neutralisation) en contexte. Les sèmes afférents sont des sèmes actualisés uniquement dans les signifiés en contexte, par exemple dans une phrase donnée. En simplifiant, on dira que si un sème est présent en contexte, il est actualisé; s’il aurait normalement dû être présent mais ne l’est pas, il est virtualisé.

Par exemple, dans « corbeau albinos », le sème inhérent /noir/ qui se trouve en langue dans le signifié ‘corbeau’ a été virtualisé en contexte parce qu’on dit de ce corbeau qu’il est albinos. En revanche, le sème afférent /blanc/ y est actualisé. Les notions d’actualisation et de virtualisation sont notamment très utiles pour rendre compte de figures rhétoriques comme l’oxymore, où un sème est virtualisé en raison de son incompatibilité avec un autre sème (par exemple, « soleil noir » (Nerval)).

2.5 DOMAINES ET DIMENSIONS

Les sèmes, qu’ils soient inhérents ou afférents, peuvent encore être distingués en fonction du type de contenu auquel ils renvoient. Présentons deux types de sèmes particulièrement faciles à identifier : les sèmes qui correspondent aux domaines de l’activité humaine (les indicateurs lexicographiques des dictionnaires en donnent une bonne idée, par exemple : chim. (chimie), phys. (physique)); les sèmes qui correspondent à des classes de généralité supérieure, des dimensions, regroupées par oppositions, par exemple animé (doté de vie) vs inanimé, concret vs abstrait, humain vs animal, animal vs végétal, etc. Par exemple, le signifié ‘fourchette’ contient les sèmes /alimentation/ (domaine) et /inanimé/, /concret/ (dimension). En termes techniques, les sèmes reliés aux domaines sont des sèmes mésogénériques et ceux reliés aux dimensions, des sèmes macrogénériques.

2.6 INTERPRÉTANT

Un interprétant est un élément du texte ou de son entour (c’est-à-dire le contexte non linguistique, la situation de communication) permettant d'actualiser ou de virtualiser au moins un sème. Dans « corbeau albinos », l’interprétant pour justifier la virtualisation du sème /noir/ et l’actualisation du sème /blanc/ dans ‘corbeau’ est la présence du signifié ‘albinos’. Autre exemple, l'identité des signifiants phoniques (homophonie) permet d'actualiser simultanément les sèmes /religion/ et /sexualité/ dans le «Cachez ce sein [saint] que je ne saurais voir» du faux dévot Tartuffe (Molière).

2.7 MÉTHODE GÉNÉRALE

2.7.1 PHASES HEURISTIQUE ET ANALYTIQUE

Dans la phase heuristique, exploratoire, de l’analyse, on commence par dégager sommairement les sèmes ou les isotopies présentes ou par formuler des hypothèses en fonction des genres, des époques et des auteurs (par exemple, dans un texte du terroir : les isotopies /campagne/, /ville/, etc.).

Ensuite, on retient quelques sèmes ou isotopies intéressants en eux-mêmes (par exemple, la présence d’une isotopie /aérospatiale/ dans un roman d’amour) et/ou dans les relations qu’ils entretiennent avec d’autres sèmes ou isotopies. L’analyse systématique peut alors commencer. Le texte sera balayé systématiquement et ce, pour chaque sème retenu. Dans les textes très brefs, on ira jusqu’à vérifier la présence possible de chaque sème retenu dans chaque mot du texte. Pour les textes plus longs, on procédera à une lecture plus diagonale.

2.7.2 RELATIONS ENTRE SÈMES ET ENTRE ISOTOPIES

Plusieurs types de relations entre sèmes et entre les isotopies qu’ils définissent sont possibles, par exemple : l’opposition; l’homologation; la présupposition simple (la présence d'un sème entraîne celle d'un autre); la présupposition réciproque (la présence d'un sème entraîne celle d'un autre et vice versa); l'exclusion mutuelle (les deux sèmes ne peuvent apparaître en même temps); la comparaison (une isotopie est comparante et l’autre comparée, par exemple /oiseau/ et /poète/ dans « L’albatros » de Baudelaire); etc.

Lorsque possible, on formulera les isotopies en oppositions (par exemple : /animal/ vs /humain/). Ces oppositions pourront participer d’homologations (par exemple, dans tel texte, la /vie/ sera à la /mort/ ce que l’/humain/ sera à l’/animal/). Les éléments d'un même «côté» d'une homologation (ici /vie/ et /humain/, d’une part, /mort/ et /animal/, d’autre part) constituent un groupe de sèmes et d’isotopies qui se présupposent réciproquement (vie/ et /humain/ forment une molécule tandis que /mort/ et /animal/ en forment une autre).

Lorsqu’il y a une molécule sémique, c’est que les isotopies qui correspondent aux sèmes constituant cette molécule forment un groupe d’isotopies appelé faisceau isotopique; ces isotopies ont tendance à indexer, intégrer les mêmes signifiés en même temps, produisant ainsi la molécule.

2.8 TABLEAUX SÉMIQUES

2.8.1 SORTES DE TABLEAUX SÉMIQUES

Suggérons l’emploi de trois types de tableaux sémiques.

1. Le tableau heuristique permet de noter les découvertes préliminaires.

Exemple de tableau sémique heuristique

SIGNIFIÉ

SÈME

JUSTIFICATION

'signifié 1'

/X/, /Y/

 

'signifié 2'

/Y/

 

'signifié 3'

/X/

 

2. Le tableau analytique permet de noter les actualisations d'un sème donné dans le texte. On produit autant de tableaux analytiques que d’isotopies dont on veut rendre compte en détail (+ : sème actualisé; absence du signe d’addition : sème non actualisé, - : sème virtualisé).

Exemple de tableau sémique analytique

SIGNIFIÉ

SÈME /X/

JUSTIFICATION

'signifié 1'

+

 

'signifié 2'

 

 

'signifié 3'

+

 

'signifié 4'

-

 

3. Le tableau synthétique permet de comparer les indexations de signifiés dans différentes isotopies retenues et par là de reconnaître la présence de molécules (dans notre tableau, une molécule /X/ + /Y/ apparaît dans les signifiés 1 et 2).

Exemple de tableau sémique synthétique

SIGNIFIÉ

SÈME /X/

SÈME /Y/

JUSTIFICATION

'signifié 1'

+

+

 

'signifié 2'

+

+

 

'signifié 3'

 

 

 

2.8.2 UTILISATION DES TABLEAUX

La dénomination de l'isotopie est particulièrement importante. On retiendra le nom qui donnera l'analyse la plus riche en termes quantitatifs et qualitatifs, en jouant notamment sur le degré de généralité/particularité (par exemple, comparez /action/ vs /mouvement/ vs /danse/ vs /valse/). Comme tout signifié comporte plusieurs sèmes, il peut se retrouver dans plusieurs des isotopies retenues pour l’analyse, voire dans deux isotopies incompatibles.

Dans la dernière colonne du tableau, ou dans des notes de bas de page, on justifiera s’il y a lieu, l’actualisation ou la virtualisation de tel sème : on présente alors le ou les interprétants (arguments) sur lesquels on s’appuie. Parfois il faut même justifier la non-actualisation et la non-virtualisation, si le lecteur pourrait croire, à tort, que tel sème devrait être jugé actualisé ou virtualisé.

Pour alléger les tableaux et l'analyse, on peut recourir à des critères limitatifs méthodologiques, par exemple en rejetant ce qu’on appelle les grammèmes libres (prépositions, pronoms, conjonctions, adverbes, articles, adjectifs non qualificatifs).

3. APPLICATION : « LE VAISSEAU D’OR » DE NELLIGAN

* * *

« Le vaisseau d’or »
Émile Nelligan (1980 : 14)

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif:
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues;
La Cyprine d'amour cheveux épars, chairs nues,
S'étalait à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?
Qu'est devenu mon cœur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve!

* * *

Nous proposons une analyse isotopique du « Vaisseau d’or » de Nelligan (1879-1941), œuvre la plus célèbre du plus célèbre des poètes québécois du XIXe siècle (il est interné à partir de 1899).

Notre analyse isotopique est doublement simplifiée. D’une part, nous intéresse ici une seule isotopie, liée à un domaine, soit /navigation/. D’autre part, nous ne faisons pas état de toutes les indexations possibles de signifiés sur ces isotopies : nous ne retenons que les signifiés des substantifs, verbes et adjectifs qualificatifs (par exemple, cela élimine tous les pronoms qui renvoient à un mot doté du sème /navigation/ : « il » mis pour « bateau », « où » mis pour « Océan », etc.) et nous escamotons, ainsi ou par ailleurs, certaines des indexations les plus problématiques, en particulier celles liées à de possibles jeux de mots (par exemple, « il » et « île » ou « aux » et « eau »).

L’espace restreint nous empêche d’approfondir une seconde isotopie extrêmement intéressante, liée elle aussi à un domaine : /sexualité/. Si la première isotopie est particulièrement apparente, la seconde n’en est pas moins attestable : des mots ou syntagmes comme « chairs nues », « Sirènes » et sans doute, comme nous le verrons plus loin, « Cyprine d’amour », la fondent solidement. Nous formulons l’hypothèse que nos deux isotopies sont unies par une relation comparative, la navigation étant le comparant et la sexualité le comparé (ce qui ne veut pas dire que seuls les signifiés s’indexant sur /navigation/ peuvent s’indexer sur /sexualité/).

REMARQUE : TRAITEMENT DES COMPARAISONS MÉTAPHORIQUES ET DES MÉTAPHORES

Nous faisons nôtres les principes de la sémantique interprétative touchant le traitement des comparaisons métaphoriques (produisant une connexion métaphorique) et des métaphores (produisant une connexion symbolique). Nous simplifierons ces principes (voir le chapitre sur la sémantique interprétative). Prenons, deux exemples tirés du texte à l’étude. Dans la comparaison métaphorique « gouffre » - « cercueil », chacun des deux éléments en présence demeure dans son domaine respectif et dans l’isotopie qui lui est associée, à savoir, /navigation/ et /rituel funèbre/ (même chose pour, d’une part, « marins » et, d’autre part, « Haine », « Dégoût » et « Névrose »). Par contre, dans la métaphore « tempête » - « coït » (mot absent du texte), sujette à débat, « tempête » appartient à là fois à l’isotopie /navigation/ et, en tant qu’il sert à manifester « coït », à l’isotopie /sexualité/. Il ne semble pas y avoir de mots qui s’indexent dans l’isotopie /navigation/ par le détour d’une métaphore, c’est pourquoi nous avons donné un exemple avec l’isotopie /sexualité/.

Le tableau plus bas indique les principales indexations de signifiés sur l’isotopie /navigation/ (+ : sème actualisé; i : sème inhérent; a : sème afférent; ?: doute quant à l’actualisation ou au statut inhérent/afférent d’un sème).

L’isotopie /navigation/ dans « Le vaisseau d’or »

MOTS ET SIGNIFIÉS

SÈME ET ISOTOPIE /NAVIGATION/

Vaisseau

+

i

Type de navire

mâts

+

i

 

azur

+?

a

« Littér[aire]. Couleur d'un beau bleu clair; et poét[ique] La couleur du ciel, des flots. » ( Le petit Robert )

mers

+

i

 

Cyprine

+

a

« [D]u latin Cypris , du grec Kupris surnom d'Aphrodite » ( Le petit Robert ), déesse honorée dans l'île de Cypre (Chypre). Aphrodite (Vénus), on le sait est née des eaux. En contexte, elle s'oppose, comme figure « aquatique » féminine bénéfique, aux Sirènes qui interviendront plus loin. En tant que possible métaphore pour désigner une figure de proue, le mot s'indexe aussi sur /navigation/. Ces interprétants se conjuguant, nous dirons que le sème est particulièrement saillant.

 

Par ailleurs, le mot s'indexe sans doute aussi sur l'isotopie /sexualité/. En ce qu'il dérive du surnom d'Aphrodite, ce mot est en partant lié à l'amour, notamment au sens sexuel du terme. En outre, il signifie, seul sens que rapporte Le petit Robert  : « Sécrétion vaginale, signe physique du désir sexuel ». Le petit Robert atteste ce sens vers 1970. En fait, il apparaît bien avant, comme le prouve Gervais (1994 : 38-39) à l'aide de cette lettre d'Apollinaire à Louise de Coligny (13 janvier 1915) : « le vagin royal où bouillonne la cyprine voluptueuse que tu me prodigues ô chérie et d'où s'épanche l'or en fusion de ton pipi mignon » (cité dans Gervais, 1994 : 39). Enfin, en tant que possible métaphore pour désigner une figure de proue, le mot s'indexe aussi sur /sexualité/ : les figures de proues vont souvent seins nues

proue

+

i

Avant d'un navire

vint

+?

a

Suppose la navigation proprement dite : un déplacement sur l'eau

écueil

+

i

« Rocher, banc de sable à fleur d'eau contre lequel un navire risque de se briser ou de s'échouer. » ( Le petit Robert )

Océan

+

i

 

Sirène

+

i?

« Animal fabuleux, à tête et torse de femme, avec un corps d'oiseau ou une queue de poisson, qui passait pour attirer, par la douceur de son chant, les navigateurs sur les écueils. » ( Le petit Robert )

naufrage

+

i

 

carène

+

i

Partie immergée de la coque d'un navire

profondeurs

+

a

En contexte, les profondeurs dont il est question sont marines

Gouffre

+

a

Un gouffre n'est pas définition marin, le sème est donc plutôt afférent. Il s'agit d'un : « Trou vertical, effrayant par sa profondeur et sa largeur. » À noter, le sens suivant, même s'il ne semble pas s'appliquer directement ici : « Spécial[emen]t Courant tourbillonnaire. Le gouffre du Maelström. » ( Le petit Robert )

Vaisseau

+

i

 

flancs

+

i

« Partie latérale de certaines choses. Flanc d'un vaisseau. » ( Le petit Robert )

trésors

+

a

Un trésor n'est pas par définition marin, même s'il l'est souvent, par exemple dans les textes littéraires

marins

+

i

 

tempête

+

i?

Selon Le petit Robert  : « Violente perturbation atmosphérique [.] Spécial[emen]t Ce temps sur mer, qui provoque l'agitation des eaux et met les navires en péril. » En conséquence, le sème /navigation/ pourrait être inhérent.

navire

+

i

 

sombré

+

i

« Cesser de flotter, s'enfoncer dans l'eau, en parlant d'un bateau » ( Le petit Robert )

abîme

 

 

« Gouffre dont la profondeur est insondable » ( Le petit Robert ). Cf. « immuable ».

4. OUVRAGES CITÉS

GERVAIS, A. (1994), Sas. Essais, Montréal, Triptyque, 289 p.
HÉBERT, L. (2001), Introduction à la sémantique des textes, Paris, Honoré Champion, 232 p.
NELLIGAN, E. (1980), Poèmes choisis, Montréal, Fides, 171 p.
RASTIER, F. (1987), Sémantique interprétative, Paris, P.U.F., 277 p.
RASTIER, F. (1989), Sens et textualité, Paris, Hachette, 287 p.
RASTIER, F. (1991), Sémantique et recherches cognitives, Paris, P.U.F., 262 p.
RASTIER, F. (1996) [1987], Sémantique interprétative, Paris, P.U.F., 284 p.
RASTIER, F. (2001), Arts et sciences du texte, Paris, P.U.F., 303 p.
RASTIER, F., M. CAVAZZA et A. ABEILLÉ (1994), Sémantique pour l'analyse, Paris, Masson, 240 p.

5. EXERCICES

A. Déterminez dans quels mots sont actualisés les sèmes /arts plastiques/ et /poésie/ dans cette strophe de « Aisthêtês » (« esthète ») du poète québécois Paul Morin (1918).

Celui qui sait l'orgueil des strophes ciselées,
Le rythme et la douceur du vers harmonieux,
Et, comme un émailleur de vases précieux,
Gemme de rimes d'or ses cadences ailées;

B. Dans la même strophe, trouvez une molécule sémique (par exemple, /poésie/ + /positif/) et dites où elle se manifeste.

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